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la cote occidentale en vue.

peiner plusieurs jours pour réparer cette erreur ? Eussions-nous poursuivi dans la direction première, nous aurions probablement pu avancer à la voile jusqu’à la terre ferme. Maintenant nous faisons route au sud.

Avec la neige épaisse qui bouche la vue, impossible de savoir où nous sommes. Il est inutile de continuer la marche dans ces conditions.

Nous décidons alors de nous arrêter. Dietrichson et les deux Lapons installent le campement, pendant que Sverdrup, Kristiansen et moi allons à la découverte au milieu du dédale des crevasses. Balto, qui est maintenant cuisinier en second, doit préparer de la soupe de légumes et en même temps faire chauffer de l’eau. Ce soir nous aurons un grog au citron. Tout doit être prêt pour le moment où nous reviendrons.

Nous nous attachons tous les trois à une corde et partons. Le glacier est très accidenté ; partout ce ne sont que des arêtes tranchantes séparées par des crevasses, la plupart peu profondes.

A peu de distance du campement, voici une petite tache foncée entre deux monticules de glace. On dirait de l’eau, mais cela pourrait bien être aussi de la glace. Tout d’abord je ne dis rien aux autres, de crainte de leur causer ensuite une désillusion. Arrivé là, je tâte de suite avec mon bâton. « C’est de l’eau, mes amis. » Et nous voilà tous accroupis, buvant à pleines gorgées. Quel plaisir de boire de l’eau à discrétion, après en avoir été, pour ainsi dire, privés pendant un mois ! Nous en absorbons tout d’une traite je ne sais combien de litres. Peu de temps après nous être remis en marche, nous entendons des cris et apercevons bientôt le petit Ravna accourant derrière nous à toute vitesse. De suite nous nous arrêtons. Quelque accident serait-il arrivé ? Non, heureusement ; le bonhomme vient simplement chercher les mèches de la lampe à alcool que je porte toujours dans ma poche de pantalon et que j’ai oublié de remettre à Balto avant de partir. J’étais très anxieux de savoir si Ravna avait vu l’eau que nous avions découverte ; il se plaignait toujours de la soif, et je craignais qu’il n’en bût trop maintenant. Oui, il l’avait bien aperçue avec ses yeux de lynx, mais il n’avait pas voulu s’arrêter, de crainte de ne pas nous rattraper. En reve-