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a travers le grönland.

solidement enfoncé dans la vase. Tandis que je transporte les bagages sur une pointe de rocher, Sverdrup va chercher le canot, et bientôt l’emmène pour embarquer. Après une journée de fatigues, nous avons enfin réussi à atteindre la mer : désormais nous pourrons voguer jusqu’à Godthaab.

Nous dînons, prenons place dans le bateau, puis aux avirons. Nous longeons la côte septentrionale du fjord.

À notre grande satisfaction, le canot n’est pas aussi lourd que nous le supposions tout d’abord. Il n’est cependant pas un fin marcheur ; en tout cas il avance assez vile, à notre avis du moins. La coque laisse passer l’eau en grande quantité : toutes les dix minutes nous sommes obligés d’écoper.

L’extrémité supérieure du fjord forme une baie qui nous paraît particulièrement pittoresque. Au fond s’ouvre une vallée, de tous côtés s’étendent de jolies pentes et des monticules rocheux qui font très bien dans le paysage. Le gibier doit être abondant dans la région, le renne surtout. Pardonnez-moi cette dernière réflexion, mais la nourriture est la chose la plus intéressante pour nous en ce moment, et tout ce qui peut en procurer dans la nature nous paraît beau.

La côte septentrionale de l’Ameragdla est partout escarpée ; le soir venu, nous atterrissons à un point où nous pouvons tirer le canot au sec et trouver un espace suffisant pour nous étendre. De pareils endroits sont rares le long de celle partie du fjord. Notre étape a été courte, néanmoins nous sommes satisfaits : nous avons enfin atteint la mer. Ce qui nous rendait encore plus joyeux, c’était la perspective de manger ce soir de la viande fraîche et à discrétion, plaisir qu’approuveront seules les personnes soumises, comme nous, durant quarante jours à un régime de conserves. Pendant notre navigation j’avais réussi à abattre six mouettes bourgmestres (Larus glaucus).

Notre souper se compose de deux de ces palmipèdes. En un tour de main ils sont dépouillés, jetés dans la marmite et bientôt cuits. Un jour on demanda à Sverdrup, en train de raconter notre vie dans ce désert, si nous vidions les oiseaux. « Ah ! ma foi, je n’en sais rien ; avant de faire cuire les mouettes, Nansen retirait quelque chose de leur intérieur, probablement quelque boyau. Le tout allait