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notre séjour a godthaab.

A chaque instant, nous pensions voir arriver un vapeur envoyé à notre recherche : mais rien ne vint. Il y avait dans le port un vieux sloop. Si on nous le prêtait, nous pourrions gagner l’Amérique.

Le directeur de la colonie ne voulut pas malheureusement prendre sur lui de nous donner une pareille autorisation, et force nous fut de renoncer à tout projet de départ.

Nous étions un jour à table, lorsque des kayaks sont signalés venant du sud. Ces messagers nous remirent un gros paquet de lettres envoyées par le directeur des mines d’Ivigtut et par plusieurs fonctionnaires de colonies situées au sud de Godthaab.

La première lettre nous annonçait la remise de notre courrier à bord du Fox. La veille de l’arrivée de nos exprès, le vapeur était parti pour l’Europe, mais une grosse tempête l’avait aussitôt après obligé à chercher un refuge dans un mouillage voisin d’Ivigtut. Le vent étant tombé, le bateau allait repartir, lorsque furent aperçus deux kayaks arrivant à toute vitesse et faisant signe de les attendre. A la nouvelle de notre heureuse traversée du Grönland, le capitaine et le directeur des mines examinèrent aussitôt le moyen de nous venir en aide ; tous deux reconnurent l’impossibilité pour le navire de remonter jusqu’à Godthaab. Personne à bord ne connaissait l’atterrissage de ce port, et si un accident était arrivé, il était impossible de nourrir dans la colonie pendant tout l’hiver les quarante ouvriers que le Fox rapatriait.

Finalement le capitaine fut forcé de ne pas nous attendre, et le vapeur partit pour l’Europe avec la nouvelle de notre succès. Le manque de charbon obligea le bâtiment à relâcher à Skudesnæs, en Norvège ; grâce à cet accident, notre patrie eut la primeur de la bonne nouvelle.

Certains maintenant d’être obligés de rester au Grönland jusqu’au printemps, nous jouissons en paix du bonheur du temps présent. Plus intimes devenaient nos relations avec les indigènes et plus grande devenait notre sympathie pour eux. Afin d’apprendre à mieux les connaître, nous allions visiter les petits clans dispersés aux environs de Godthaab. Ainsi, dans le milieu d’octobre, en compagnie du directeur de la colonie, nous fîmes une excursion à Kangok, et plus tard, en novembre, à Narsak.