Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/189

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d’exemple, car, là, je vous prierai de consigner l’équipage, y compris les aspirants, tous les jours à partir du souper.

— Quelle idée, Langelle ! consigner ces pauvres enfants ! Laissez-les donc se divertir pendant qu’ils le peuvent.

— Se divertir, fort bien ; mais jouer, perdre sottement sa solde et au delà, c’est bête, et on joue partout dans l’Amérique du Sud. Ces jeunes gens n’ont pas encore la raison nécessaire pour résister aux tentations ; ils l’ont prouvé à Valparaiso, où l’un d’eux a même rencontré une très sotte affaire avec un duel au bout ; j’ai pu arranger cela. Pourtant il leur faut une leçon. Quant aux hommes, après un mois de liberté ils ne valent pas la corde pour les pendre. À Guayaquil, ils feraient pire encore, ayant pris goût à ce qu’ils retrouveraient, et avec un arriéré de solde en plus. Nous aurions des rixes à terre, des désertions peut-être.

— Savez-vous, Langelle, qu’on croirait entendre un vieillard et non pas un jeune homme ? Mais vous avez sans doute raison, et j’agirai selon votre désir. Tous vont nous maudire de la belle façon.

— Bon, laissez-les faire et dire, commandant, qu’importe ! En tout cas, personne ne nous reprochera de nous donner seuls du bon temps, et ensuite on nous rendra justice ; mais je ne vous en remercie pas moins de vous être rendu à mes raisons et de m’aider en tout et pour tout. »

Le commandant se mit à rire de son gros rire, qui n’agaçait plus son second, et, en serrant la main du dernier, il s’écria :

« Quand on pense que nous étions comme chien et chat, juste comme Stop et Pluton dans les premiers temps !

— Oui, commandant ; mais eux, étant simplement des bêtes, n’ont pas tenu aussi longtemps à leurs idées… »

Les deux officiers riaient encore, lorsqu’un enseigne se présenta, et, s’adressant à Langelle : « Lieutenant, dit-il, peut-on procéder à la vente des effets ayant appartenu aux hommes décédés à bord ?

— Certainement, prévenez le commissaire, je monterai moi-même dans cinq minutes. »

Alors les deux commandants parlèrent un instant d’une coutume existant depuis des siècles, celle de vendre à la criée, à bord, tout ce qui était la propriété des quartiers-maîtres et des matelots morts au cours d’une campagne. Au jour et à l’heure désignés par le commissaire, les fourriers apportent sur le pont, scellé de cire rouge, le sac du défunt. Ce sac ouvert, les camarades enchérissent, surfaisant pour s’amuser sur les vêtements, les bibelots destinés aux parents.

La boîte contient des aiguilles, du fil, des boutons (chaque matelot