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Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/20

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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

quets d’arbres. La mer seule, à l’ouest, borne et arrête ces terres arides, que balayent sans cesse les grands vents de l’Atlantique, en couchant dans la même direction les buissons rabougris et les arbres découronnés.

Bêtes et gens avançaient lentement, mais ils arrivaient enfin devant une pauvre église, bien ancienne et bien délabrée, paroisse d’un misérable village.

Les cloches sonnaient à toute volée et les fidèles entraient dans le sanctuaire trop étroit en ces jours-là, dont les portes restaient grandes ouvertes ; alors, ceux qui n’avaient pu trouver de place à l’abri, les hommes tête nue, les femmes à genoux, suivaient les prières de l’office au milieu des pierres tombales d’un vieux cimetière.

Le village se nomme Biville, l’église, élevée au quinzième siècle, est dédiée au bienheureux Thomas Hélye, pour lequel les Normands de la presqu’île professent un amour démonstratif qui étonne de la part d’une population généralement peu enthousiaste.

Les Normands, et surtout les habitants de la Manche, sont pour le plus grand nombre honnêtes, mais, avant tout, économes, rusés et défiants : ils craignent de montrer le fond de leurs bourses et le fond de leurs pensées. Questionnez-les : jamais ils ne répondront franchement oui ou non. Pesant leurs moindres paroles, ils craignent toujours de se voir entraîner à une démarche ou à une dépense imprévues. Travailleurs et persévérants, n’en attendez ni un élan spontané, ni un dévouement irréfléchi.

Un trait les peint. En d’autres pays, on lit sur les enseignes des cafés et auberges : « Ici l’on donne à boire et à manger. » En basse Normandie, le mot donne est invariablement remplacé par cet autre : vend, parce que : « Allais, marchais, qué qu’on saurait répondre à cétil qui réclamerait ? Rien, morgué ! pisque la promesse ail’serait écrite. »

Sur toutes choses, ces braves gens prisent celles qui leur appartiennent exclusivement. Aussi les plus dévots se laissent-ils rarement entraîner à de lointains pèlerinages. Partant ils en apprécient doublement celui qu’ils trouvent à leur portée, sous l’invocation d’un saint prêtre, né dans la Hague et dont l’histoire authentique n’emprunte rien à la légende.

Né à Biville et de parents nobles à la fin du douzième siècle, Thomas Hélye se consacra d’abord à l’éducation des jeunes garçons pauvres de Cherbourg, où fort jeune lui-même il fonda et dirigea des écoles. Bientôt écouté et vénéré, devenu prêtre, il borna son ambition à la cure de Biville, et dans ce village perdu au milieu des solitudes