Aller au contenu

Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

De plusieurs bâtiments arrivèrent ces réponses de leurs commandants : « Un lieutenant de vaisseau ou bien un enseigne désire embarquer momentanément sur le Colosse, je puis me passer de cet officier. »

Une heure après, une baleinière accostait le Colosse. On amenait l’échelle de tribord, deux officiers sautaient sur le dernier échelon et l’embarcation repartait à toute vitesse, car le navire était consigné à cause de l’épidémie. Cependant deux vieilles connaissances arrivèrent sur le pont, MM. de Langelle, lieutenant de vaisseau du Henri IV, et de Résort, enseigne du Roland ; l’état-major du Colosse attendait ces officiers à la coupée.

Et serrant les mains des nouveaux venus : « Messieurs, leur dit le commandant, je vous remercie, mais je ne suis point surpris en vous trouvant prêts à l’heure du danger.

— Une fière chance pour nous, commandant, d’avoir été choisis entre vingt autres, » répondit Ferdinand, dont l’air heureux et bien portant réjouit les matelots présents.

Pendant le repas suivant, au carré, les arrivants expliquèrent ce qu’ils nommaient leur bonne fortune.

« Vous comprenez, dit Langelle, qu’on nous ait préférés aux autres parce que sur le Henri IV il n’y a pas d’officier malade, et, jusqu’à présent, le Roland est en patente nette. »

Le soir même, les bâtiments contaminés quittaient la rade à la lueur d’un terrible incendie : c’était Varna qui brûlait. On ne sut jamais comment le feu prit dans cette ville déjà si terriblement éprouvée.

Ceux qui ont navigué sur un bateau envahi par le choléra ou la fièvre jaune peuvent seuls s’imaginer l’horreur du fléau dans cet espace resserré ; là tout s’entend et se voit, depuis le premier symptôme alarmant constaté chez un officier ou chez un matelot dont le mal va progressant avec la rapidité de la foudre, jusqu’à l’immersion presque immédiate de celui qui vient de rendre le dernier soupir.

Quand une tempête oblige à fermer les sabords et les hublots de la batterie ou du faux pont, dans lesquels les hamacs sont suspendus durant la nuit, ces endroits gardent une odeur de fièvre et de mort laissée par les hommes subitement atteints. L’hôpital est encombré, on n’y entre guère que pour y mourir ; souvent les médecins succombent des premiers.

Aux survivants il faut un moral, une volonté inouïs, et, si les officiers ne donnaient plus que l’exemple, les matelots s’affoleraient.

Les cholériques du Colosse avaient été déposés à terre et, durant les