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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

sont tous hors de danger, et aucun n’est entré à l’hôpital aujourd’hui. Le docteur pense que nous voici les maîtres du mal. Pauvre vieux docteur ! il est à bout de forces, ressemblant à une momie avec sa peau naturellement brune collée sur ses os. Mais quel moral, quelle santé au fond ! Toujours sur pied, il quitte l’hôpital seulement pour manger quatre ou cinq bouchées de temps en temps.

— Ne lui reste-t-il plus d’aides ? »

Ferdinand secoua la tête. Au nombre de trois, les autres médecins dormaient dans la mer Noire, un boulet aux pieds, avec le commandant en second, deux lieutenants de vaisseau, trois enseignes et, enfin, après les officiers et les matelots, l’aumônier ! Ayant consolé les malades et récité les dernières prières sur les restes de ceux qu’il venait d’aider à mourir, le prêtre s’était couché à son tour, épuisé par ce bon combat ; il reposait aussi dans les eaux glacées de la profonde mer. Mais sa mort parut racheter le reste de l’équipage du Colosse. D’abord l’épidémie diminua d’intensité, bientôt le docteur ne constata plus de nouveaux cas, puis les malades guérirent les uns après les autres.

On était en effet maître du mal ; mais à quel prix ?

Le quinzième jour, le vaisseau put signaler aux autres bâtiments de l’escadre : « Aucun malade à bord. »

Les navires communiquèrent alors les uns avec les autres en échangeant de lugubres nouvelles. Un aviso arrivant de Constantinople vint détourner heureusement le cours des idées.

Cet aviso donnait à tous les bâtiments l’ordre de rallier le gros de l’escadre à Baltchick, parce que l’expédition de Crimée était définitivement arrêtée.

… De nouveau sur le Roland qu’avait épargné le choléra, Ferdinand y fut fêté par ses camarades. Et après avoir complimenté le jeune officier, le commandant ajouta — c’était M. de la Roncière le Noury, alors capitaine de frégate : «  Le commandant du Colosse et moi avons demandé la croix pour vous, Résort, et cette croix aura été bien gagnée, je suis heureux de vous le dire.

— Vous êtes trop bon, commandant, et je vous suis bien reconnaissant ; mais véritablement je n’ai absolument rien fait d’extraordinaire, car, l’eussé-je voulu, je ne pouvais ni me sauver du Colosse, ni laisser les cholériques tranquilles, n’est-ce pas ?

— Oui, il paraît que vous les secouiez de la belle façon et le docteur affirme que sans vous beaucoup plus eussent succombé. Et quelle mine vous avez ! Superbe. J’écrirai tout cela à votre père. En avez-vous des nouvelles ?

— Ma mère me transmet par le courrier de ce matin une lettre