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Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/259

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ton, et j’eus un moment l’envie de l’envoyer au capitaine de cet imbécile… Mais on vous demande. »

En effet, à la porte du carré, interrompant la conversation, le commandant en second appelait Langelle pour lui communiquer les ordres de leur chef.

Depuis le matin, le mauvais temps s’annonçait et le baromètre subissait des oscillations qui précèdent ordinairement les tempêtes.

« Peut-être un cyclone passe-t-il dans les parages voisins, et peut-être aussi aurons-nous la chance de n’en sentir que la queue, dit Langelle, répondant aux remarques du capitaine de frégate.

— Dieu le veuille ! L’escadre est ici simplement à l’abri de ses bouées ; joli abri ! les commandants ont déjà fait de vaines observations à ce sujet. Enfin nous allons nous méfier ! »

Les mâts furent donc calés, les panneaux cloués, toutes les embarcations, tous les canons solidement amarrés. Le bâtiment possédait des ancres énormes, et pourvu que le vent restât du sud-est et soufflât de terre, on ne serait pas trop exposé.

Mais dans la soirée l’ouragan se déchaîna et le vent sauta brusquement. La nuit suivante s’écoula au milieu des plus sérieuses appréhensions. Les chefs se rendaient aussi compte de la position terrible où se trouverait l’armée alliée, si tout ou même une partie de sa flotte était détruite.

Depuis Inkermann, les belligérants organisaient une défense et une attaque formidables. Mais du 14 au 16 novembre le vent et la pluie bouleversèrent le sol de la Crimée en balayant les tranchées et les bastions ; des batteries furent noyées. La Tchernaïa déborda, inondant les murs de Sébastopol. Cependant les assiégeants éprouvèrent les plus sérieux dommages. Ensuite les maladies décimèrent les deux armées. Ces maladies provenaient en grande partie des souffrances endurées après cette tempête au milieu des camps détrempés où les soldats devaient coucher sur un sol boueux et sous des tentes humides.

À Balaklava, huit bâtiments anglais coulèrent bas. L’un d’eux, arrivé la veille, n’avait pas encore pu être déchargé. C’était The Prince, immense transport apportant en Crimée des vivres, des munitions et des vêtements chauds pour tous les soldats ; rien ne fut sauvé ; on se trouva dans l’impossibilité de rien remplacer avant plusieurs semaines, alors les troupes, minées par le choléra et la consomption, se fondirent littéralement.

À Kamiesh, malgré cette tempête, nos navires tinrent bon, mais ils éprouvèrent de très graves avaries, et quelques-uns durent ensuite retourner en France pour être démolis.