Aller au contenu

Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partagea l’admiration de ses parents pour celui-là. Mais, rappelé à la réalité et non sans excuses, il faut l’avouer :

« Comme il doit être tard, s’écria-t-il, et que j’ai donc faim ! Papa, voulez-vous me montrer dans quelle direction se trouve le château ?

— Quel château, mon ami ?

— Mais le nôtre. Ma bonne m’a dit ce matin que nous allions visiter aujourd’hui le château des Pins.

— Eh bien, l’habitation que ta bonne appelle un château n’est guère autre chose qu’une ferme : ce dont tu pourras bientôt juger par toi-même ; mais, ferme ou manoir, nous y avons été bien heureux dans notre jeunesse, mes sœurs et moi, songeant à y revenir aussitôt que nous arrivions à Paris, comptant alors les mois et les jours qui nous séparaient des vacances. Nous imaginant abréger le temps, tous les matins, chacun à notre tour, nous déposions un pois ou un petit caillou dans une espèce de tirelire cachetée. Au préalable, trois cent un de ces objets étaient solennellement comptés par nous et placés dans un tiroir. Une fois, ayant reçu une boîte de baptême, j’eus la belle idée de remplacer les cailloux et les pois par des dragées petites ou grosses ; l’invention parut admirable et nous nous dîmes : «  Quelle joie d’ouvrir la tirelire à la veille des vacances et de manger les trois cent une dragées d’un seul coup ! » Et devine ce qui arriva ce jour-là. Voyons, franchement, en jugeant les autres d’après toi-même… »

Ferdinand hésitait, souriait et rougissait. «  Je ne sais trop, papa, finit-il par avouer, peut-être aurais-je… mangé… quelques petites dragées…

— Eh bien, mon ami, ce ne fut pas quelques-unes. Au jour marqué, et à notre grande confusion, la tirelire brisée, il ne s’y trouva que cinq grosses dragées et sept toutes petites, et les premières aux trois quarts rongées. Nous avons bien ri et nous rions encore en parlant de cette vieille histoire. »

Ferdinand riait aussi, lorsque Pied-Blanc s’arrêta brusquement. À quelques pas d’eux, les voyageurs aperçurent un homme revêtu de la limousine des bergers et qui disait en soulevant un grand chapeau noir :

« Bonjour, monsieur, madame et la compagnie ; bonjour, Quoniam.

— Bonjour, Thomas, » et le fermier reprit en se tournant vers Mme de Résort : « Chacun sait qu’il faut répondre aux bergers, car cela porte fortune lorsqu’un pasteur salue le premier. »

À cet instant, après avoir franchi d’un bond un large fossé, un superbe chien griffon vint tomber devant la carriole. Pied-Blanc et le chien semblaient très joyeux et très excités ; l’un modulait la