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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

encore de blessures mal fermées ; ils regrettaient cette terre d’Orient abandonnée avant le succès et la gloire rêvés. Et combien dormaient là, sous la neige, de leurs chefs et de leurs camarades qu’ils avaient vus tomber.

… On traversait l’Archipel. Sur le pont, Marine et son vieil ami causaient tristement. L’amiral, très souffrant, essayait de dormir dans sa cabine. Tout à coup Le Toullec s’écria en s’adressant à sa compagne :

« Vous allez penser que je suis un vieux fou, mais quelque chose me dit que nous reverrons Harry Keith en ce monde.

— Hélas, mon bon commandant, le médecin en chef m’a répété hier au soir que c’était une question d’heures à présent.

— L’imbécile ! » répliqua Le Toullec, qui jura à demi-voix et dont les yeux se remplirent de larmes. Ensuite il reprit : « N’est-ce pas trop dur de voir mourir des jeunes gens utiles, charmants, et de rester, moi, une vieille carcasse bonne à rien ? Ah ! Marine, vous seule savez à quel point je regrette cet être-là, si vaillant, si gai, et ce que je donnerais pour voir encore Langelle me regarder au travers de son lorgnon. À présent, mon enfant, il faudra me laisser vivre et mourir quelque part, non loin de vous, car voyez-vous…, Marine…, je ne saurais me passer de votre affection maintenant. »

Marine prit la main du brave homme et elle pleura de tout son cœur, parce que depuis le matin ses larmes refoulées l’étouffaient.