Page:Narrache - Jean Narrache chez le diable.djvu/102

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senté, ce matin, à la banque X et a glissé au caissier un billet ainsi conçu : « Donnez-moi tout l’argent de la caisse ou je tire. » Voilà un écrivain qui sait rendre l’instruction et la littérature parfaitement rentables. Et dire, mes braves amis, que vous aurez passé votre vie à écrire pour la gloire et pour des prunes, tandis que ce type-là aura gagné, avec une seule phrase bien tournée, dix, quinze ou vingt mille dollars ! »

Quand nous eûmes ri tous les trois de cette monumentale blague, Francœur reprit : « En voilà un qui a écrit sans espoir et même sans ambition d’appartenir à l’Académie canadienne, à la Société Royale, pas même à la Société des Auteurs. »

— « Voilà un homme absolument désintéressé de la gloire littéraire », ajoutai-je à titre de conclusion.

— « La gloire littéraire, est-ce que ça existe dans notre province ? » demanda Francœur.

— « Je laisse la réponse à notre ami », répondit le diable, en me montrant du doigt.

— « La gloire littéraire ? Bien sûr que ça existe dans la « belle » province ! Je l’ai connue, et si bien que je vais vous en citer deux exemples superbes. Après la publication d’un de mes bouquins qui, chose assez étrange, eut assez de vogue pour me valoir un éreintement de Valdombre, un cercle littéraire ultra snob de dames du grand monde m’invita à un de ses thés. Bien entendu, c’était « gratis pro deo ». Comme le véritable imbécile que je suis, j’acceptai. Or, après que j’eus débité ma petite causerie, on passa le thé et les petits fours (mais pas la moindre goutte de rhum !). Une dame d’âge plutôt mûr me dit tout ingénument : « Pensez si j’ai été chanceuse ! Je suis allée à la