Page:Naudet - Notice historique sur MM. Burnouf, père et fils.djvu/57

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sein ; et ce fut une des fortes préoccupations, une des visées dominantes de sa vie académique, et à laquelle il fit même de certains sacrifices.

Une circonstance extraordinaire vint tout à point pour vérifier cette destinée et autoriser une si légitime prétention.

Au lendemain du renversement d’une tyrannie très débonnaire, lorsque surgit une liberté qui faisait peur, le gouvernement rendit à l’Institut ses comices trimestriels intérieurs des cinq académies. Certains moralistes arithméticiens ont remarqué que la facilité des délibérations n’augmente pas toujours en proportion du nombre des délibérants, et que, même chez les gens d’esprit, l’intelligence commune de l’assemblée n’est pas toujours égale à la somme des intelligences individuelles. Eugène Burnouf se trouvait, cette année, président de l’Institut. Ceux qui ne le connaissaient pas auraient pu craindre que, sortant pour la première fois de l’ombre de son cabinet, il n’éprouvât quelque embarras à dominer ce forum ou plutôt ce sénat littéraire. Il commença par atteindre le modèle de la perfection. Empêcher les discours de se heurter confusément sans froisser l’amour-propre de personne, et, sans tenir le frein trop serré à la discussion, ramener dans le droit chemin et à l’unité les opinions qui se dispersent et se fourvoient, faire respecter l’autorité de la présidence par la seule force de la raison manifeste, saisir l’à-propos du moment où la délibération se débrouille et s’éclaircit, pour marquer le point de transaction auquel tout le monde voudra se réunir : tel fut pour Eugène Burnouf, dans une épreuve imprévue, le triomphe de cette logique et de cette parole qui lui tinrent lieu soudainement de l’expérience et de la maturité.