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fortune[1]. Mais jusques-là, étoit-il un sentiment plus naturel que ce désir de la part du Roi, d’être en secours à des hommes dévoués si long-temps à son service, et qui avoient été, sous ses propres yeux, les innocentes victimes de leur attachement et de leur zèle ? Ah ! qu’on change donc notre nature, qu’on détruise au fond des cœurs tous les sentimens dont l’humanité s’honore, si l’on veut convertir en crimes un mouvement généreux ; mais en admettant cette révolution dans les idées morales, il faudroit encore avoir de l’indulgence pour les habitudes d’un Roi.

L’Europe demandera, s’il n’est pas aussi permis aux Princes d’étre justes, lorsqu’elle verra permi les accusations, dirigées contre LOUIS XVI, les payemens faits par la Liste civile, aux personnes attachées à l’éducation de ses frères[2] ; lorsqu’elle verra, qu’on a fait de même un reproche à ce Monarque de la pension continué de sa part à Mesdames. On oublie qu’il acquittoit ces diverses dépenses des deniers de sa Trésorerie particulière, et l’on s’obstine à présenter sa Liste civile comme une munificence Nationale, tandis que rigoureusement, elle étoit en totalité ou en grande partie, le simple remplacement du revenu des Domaines appartenans à la Maison de France, Domaines dont l’Assemblée Nationale avoit reconnu elle-même l’immense étendue. Ce principe incontestable, une fois admis, le Roi pouvoit-il, sans dureté, se dispenser d’étre en secours aux sœurs de son père ; le pouvoit-il, avec justice, n’importe le pays, n’importe le lieu qu’elles eussent choisi pour résidence ? Il ne le faisoit pas avec les deniers de l’État, mais avec la fortune qui lui avoit été transmise par ses ancêtres.

Une réflexion d’un autre genre, s’offre en ce moment à mon esprit : l’on a souvent représenté le Roi, comme occupé de faire servir ses revenus particuliers au rétablissement de son autorité ; et lorsqu’il en destine une grande partie à remplir des devoirs de sentiment, on lui en fait encore un reproche ; cependant, c’est à ce dernier usage de la fortune, qu’un Prince ambitieux et dominé par une seule passion, n’auroit pas manqué de renoncer. Ainsi, dans l’énumération des torts de LOUIS XVI, il semble qu’on ait recherché les traces de l’homme sensible ; et si on lui rend ce service, même avec le désir de le trouver coupable, sous quel jour ne l’auroit-on pas montré, si l’on se fût proposé de le faire paroître avec avantage ?

  1. Il n’y a rien eu de payé sur l’année 1792, puisque l’état ordonnancé qu’on a rendu public, étoit relatif à l’année 1791. On dit, dans un rapport fait à la Convention Nationale, qu’il y a eu des payemens faits en Août 1792 ; mais n’eut-il pas été juste d’ajouter que ces payemens regardoient des parties prenantes en arrière, comme il arrive constamment dans toutes les Caisses publiques ?
  2. Cette dépense a toujours été acquittée par le Trésor Royal.