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voyez ce tremblement, cette émotion générale, voyez cet intérêt mêlé de tant de larmes, et pénétrez encore dans tous les sentimens, retenus en ce moment, par une généreuse prudence. Ah ! n’en doutez point, la cause de votre infortuné Monarque est devenue celle de l’univers entier. Respectez donc les voix innombrables qui vous annoncent déjà les arrêts immuables de la postérité. Ce n’est pas à son Tribunal que vous pourrez présenter avec succès les illusions qui suffisent pour entraîner une multitude aveugle. Ce n’est pas auprès de ce Tribunal que vous vous acquitterez, en disant : le Peuple est souverain, le Peuple l’a voulu ; car cette volonté que vous proclamez avec tant de faste, cette volonté est votre propre ouvrage, et vous le savez mieux que personne. Le jour où le procès de Charles I fut commencé, et au milieu du Tribunal sanguinaire, assemblé pour le condamner, le Greffier de la Cour de Justice, ouvrant la séance, fit une lecture de l’Acte d’accusation contre le Monarque ; et au moment où prononça es mots : « Accusation au nom du Peuple d’Angleterre, » on entendit une voix s’écrier : « Not a tenth part of them. » Pas une dixième partie de ce Peuple. Cette voix étoit celle de Lady Fairfax, la femme de l’ami et du compagnon d’armes de Cromwel ; on ne le savoit pas, lorsqu’un regard du tyran obligea l’officier de garde à commander que l’on fit feu sur la tribune d’où l’exclamation étoit partie. Un tel ordre imposa silence à Madame Fairfax, ; mais c’est aux paroles véridiques, sorties de sa bouche, que l’opinion de la postérité s’est unie. Qu’on ne nous parle pas non plus au nom du Peuple François pour obtenir la condamnation de son malheureux Roi ; il fut resté bon, ce Peuple, il fut resté doux et pitoyable, s’il avoit été maintenu dans ses dispositions naturelles, et si l’on n’avoit pas employé tant de moyens pour dénaturer son caractère. C’est lui qu’on a changé, c’est lui qui n’est plus le même, et l’on veut qu’au moment de sa transformation, et à l’époque d’une transition si rapide, ses opinions soient reçues comme un jugement irrécusable. Ah ! dites-lui, quand vous l’oserez, dites-lui que la bonté et la générosité dans la puissance, composeront dans tous les tems les plus purs élémens de la morale, et que sans elle, sans ce Code éternel, consacré d’âge eu âge par toutes les Nations, il n’est plus de bonheur, il n’est plus de confiance, il n’est plus de tranquillité sur la terre. Épargnez donc à ce Peuple, épargnez-lui, si vous l’aimez, un dernier acte de barbarie. Vous aurez à gémir assez long-tems de toutes les férocités dont vous avez été les témoins. Sauvez, sauvez les débris du nom François en couvrant de votre Égide un malheureux Prince, et en repoussant enfin ces cris sanguinaires, dont le Ciel et la Terre semblent tressaillir. Ah ! qu’au dernier terme de l’infor-