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L’EMPOISONNEUR

cher le sang de ses blessures, refroidissait les plus audacieux.

Pourtant, une voix, jeune et claire, vaillante et décidée, se fit entendre, sans pose ni nervosité :

— Je suis prêt à commencer tout de suite, boss !

Tous les regards se dirigèrent vers la porte, contre laquelle, calme et tranquille, un jeune homme, presqu’un enfant, osait solliciter l’emploi redouté.

Parmi ces hommes rudes, dont beaucoup étaient habitués au combat, quelques-uns même au crime, un frisson d’admiration passa et, du premier coup, Hector conquit la sympathie de la clientèle.

Celle du patron aussi, sans doute, car ce dernier s’écria :

By Jove ! Voilà mon homme !… Un peu « feluet », mais vaillant. Pis, t’as pas besoin d’avoir peur, le monde qui me traite bien, je le traite bien, moi itou ! Tope-la !

Il tendait sa large patte poilue et maculée de sang ; sans hésiter, Hector y déposa la sienne et, prenant un tablier que l’homme lui montrait, il se mit à l’ouvrage.


IV

SIEUR LORENZO LACROIX


Il y avait huit jours qu’Hector Labelle travaillait au « Quick Lunch », quand il vit entrer un étrange petit homme d’une cinquantaine d’années, dont les yeux fureteurs se perdaient dans les rides d’un visage imberbe.

À cet heure tardive de l’après-midi, il ne se trouvait aucun client dans l’établissement ; pourtant, le nouveau venu alla droit au patron et lui demanda s’il pouvait causer avec lui privément. Le colosse regarda un peu surpris cet avorton qui parlait avec tant d’autorité, et, bien que la physionomie de son interlocuteur ne lui fut pas très sympathique, il lui fit signe de le suivre, mis en confiance par son apparence chétive. Tous deux montèrent un petit escalier en colimaçon situé derrière le comptoir et disparurent.

Ils revinrent au bout de quelques minutes, ayant tous deux l’air fort satisfait, comme des gens qui viennent de faire un marché avantageux pour les deux parties. L’inconnu examina avec une certaine impertinence, le jeune Hector, occupé à balayer le plancher, puis se tourna vers le patron en disant :

— Depuis combien de temps est-il à votre service ?

— Huit jours, répondit l’autre, mais c’est un bon homme, honnête et travaillant.

— C’est bien, je le garderai. À demain !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le surlendemain, le « Quick Lunch » était transformé en restaurant de liqueurs douces, à l’enseigne de « LORENZO LACROIX »

Pendant deux jours, Hector n’eut pour ainsi dire rien à faire, car les amateurs de liqueur douce semblaient plutôt rares dans la ville. Quant à son nouveau patron, il ne le voyait presque pas. Sorti de bonne heure, Lacroix ne rentrait guère qu’au moment de fermer. Cependant, le troisième soir, une automobile s’arrêta devant le petit magasin ; le patron en descendit, accompagné d’un autre homme, chacun portant quatre boîtes semblables à des bidons de gazoline, qu’ils allèrent déposer dans le sous-sol ; ils firent ainsi plusieurs voyages et repartirent avec l’auto. Quelques instants plus tard, Lorenzo Lacroix revint, accompagné de quatre hommes, vraisemblablement des prospecteurs.

— Tu peux fermer et aller te coucher, dit-il à Hector, ces messieurs restent à veiller avec moi.

Hector monta dans sa chambre et, n’entendant aucun bruit, fut bientôt couché et endormi.

Le lendemain, Lacroix, qui était sorti vers dix heures, revint peu après avec un volumineux paquet dont il sortit d’épaisses tentures.

— Viens m’aider, fit-il.

Hector le suivit dans le sous-sol et tous deux accrochèrent les tentures aux murs, obstruant complètement le soupirail par où filtrait le jour. Un peu après, des hommes apportèrent une grande table et une porte. Aidé de son commis, Lacroix installa la table au centre et plaça la porte, également garnie de tentures, au bas de l’escalier.

Ils étaient à peine remontés que deux hommes entrèrent et sur un signe du patron, le suivirent dans le sous-sol, ainsi