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L’EMPOISONNEUR

révélé qu’on devait attribuer la mort à une balle de revolver. Les prospecteurs volés observèrent un prudent silence, préférant ne pas voir leurs noms mêlés à cette sinistre affaire, d’autant plus que personne, pas même Hector, ne les avait vus entrer au débit le soir du meurtre. D’ailleurs, ils se disaient qu’un jour ou l’autre, ils auraient sans doute l’occasion de retrouver l’assassin et de venger eux-mêmes leur camarade et… leur portefeuille.

Il répugne toujours aux gens de police ou de justice de relâcher le témoin principal sans tenir l’auteur avéré d’un crime. Aussi, Hector subit-il des interrogatoires serrés et constata avec indignation qu’on le soupçonnait d’être un assassin alors qu’il avait risqué sa vie pour sauver celle d’un étranger.

Toutefois, à l’enquête préliminaire, sa physionomie franche, son récit aux accents sincères, ébranlèrent les petits jurés qui déclarèrent que, faute de preuve suffisante, il n’y avait pas lieu à procès contre lui.

Malgré cette décision, il dut quitter le pays des mines d’or plus pauvre qu’il n’y était arrivé, et bien triste aussi de voir combien la Providence lui était défavorable. Mais sa Foi en Dieu l’empêcha de s’aigrir et de se décourager ; il se dit qu’après les épreuves, vaillamment supportées, viennent les récompenses et, le souvenir de sa fiancée au cœur, il reprit son élan vers la conquête du bonheur.

Il ne devait jamais savoir que l’homme qu’il avait sauvé d’une mort certaine était un voleur et un misérable, mais était aussi le père de celle qu’il aimait.

Comment aurait-il pu reconnaître Joseph Lespérance sous les traits transformés de Louis Comte, élève et complice du bandit Lorenzo.


VI

UN AS DU CRIME


Le lecteur n’a eu, jusqu’à présent, qu’un bien mince aperçu des talents et exploits de cet énigmatique vieillard qui, rencontrant Joseph Lespérance à La Tuque, avait deviné en lui la bête traquée, après le premier pas dans la voie du crime, l’instrument docile, qu’il pourrait faire agir à sa guise, en le tenant par le chantage.

Or, le tic dominant de ce maniaque du crime était de faire des émules, d’entraîner des esprits faibles à la sinistre vie de bandit, de les tenir ensuite sous ses ordres, les exposant de préférence à lui-même, mais récoltant toujours la majorité, sinon la totalité des profits.

Lespérance n’était pas sa première victime et plusieurs malheureux expiaient au bagne, ou dans la tombe, le triste avantage d’avoir fait sa connaissance.

Lui-même avait toujours réussi à déjouer la police. Doué de qualités intellectuelles remarquables, il avait malheureusement cédé au côté morbide de son caractère et, alors qu’il eût pu, en employant mieux son intelligence, rendre à la société de signalés services, il était devenu un véritable génie du mal.

Inutile de dire que son vrai nom n’était pas Lacroix, ni Lorenzo, ni aucun des autres pseudonymes sous lesquels il avait précédemment « travaillé » ; son genre d’occupation l’obligeant à changer d’état civil après chaque opération, il avait déjà épuisé une longue liste d’alias, dont quelques-uns ne sont pas encore oubliés aux quartiers généraux de la police.

Clerc de notaire et faussaire à Québec, il devint comptable et filou à Halifax, puis, dans une affaire criminelle qui fit sensation, il obtint des sommes importantes d’un personnage politique en vue contre lequel il détenait des indices compromettants. Ensuite, il fit « de l’assurance », c’est-à-dire que, par l’intermédiaire de complices stylés, il toucha plusieurs primes de gens morts de façon mystérieuse.

Grâce à la prohibition, il connut de véritables triomphes comme « bootlegger », et sous le nom de Napoléon Piémontais, il doit être encore présent à la mémoire de plusieurs agents du revenu et officiers de douane. Il osait leur dire tranquillement que s’il les trouvait sur son chemin quand il avait un « voyage », il les tuerait.

Un jour, des agents crurent le prendre en plaçant une automobile en travers de la route ; sans se démonter, il donna à son chauffeur l’ordre de foncer à toute allure sur l’arrière du véhicule qui tourbillonna, tandis que sa propre voiture faisait au-dessus du fossé un rétablissement sur deux roues et s’enfonçait dans la nuit.

D’autres fois, il avait recours à la ruse et plusieurs de ses mystifications sont devenues célèbres dans certains milieux. Con-