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L’EMPOISONNEUR

cher un exil complet, mais il gardait en lui ses goûts d’activité et le seul genre d’existence qui pouvait le tenter était celle de prospecteur.

Ayant fait de bonnes études de chimie, de géologie et de minéralogie, étant doué d’une santé de fer et de muscles robustes, ayant des talents éprouvés de chasseur et de pêcheur, il était parfaitement armé pour l’état rude, et solitaire du chercheur d’or.

On venait de trouver des filons de minerai dans la région d’Amos, au cœur de l’Abitibi, et c’est là que Paul Gravel se dirigea d’abord. Son intention n’était pas de s’acheter un claim pour l’exploiter, ni de travailler pour le compte d’une compagnie ; il voulait découvrir de l’or.

Bien équipé, il s’enfonça dans les bois, cherchant les territoires inexplorés et les plus déserts, étudiant les terrains, scrutant le quartz, premier indice fort souvent du voisinage de l’or. Avec l’hiver, la neige vint interrompre ses recherches restées infructueuses ; il avait bien trouvé des traces de minerai de fer, mais aucun filon d’importance.

Il avait passé l’été dans une solitude complète, transportant sa tente avec lui, se nourrissant des produits de la chasse et de la pêche ; quand cela était nécessaire, il descendait à la ville renouveler sa provision de cartouches, de café, de sel, de farine, puis, sur son canot d’écorce, il remontait le cours de la rivière jusqu’à son camp.

L’hiver venu, il se joignit à Cochrane à un groupe de trappeurs partant pour la baie d’Hudson, car, bien que sa fortune lui permît de se terrer dans quelque bourgade, il ne voulait pas se laisser aller à l’inaction.

Telle fut sa vie pendant cinq années.

Inlassablement, sitôt les neiges fondues, il reprenait ses recherches dans l’Abitibi où son instinct lui disait qu’elles seraient un jour couronnées de succès.

En 1923, au nord de Makamik, il avait trouvé un assez bon filon de cuivre et l’avait immédiatement vendu vingt milles piastres à une grande compagnie minière ; sur cette somme, il reçut cinq mille piastres comptant, le reste devant lui être versé si, après sondages, la compagnie décidait d’exploiter sa découverte.

En 1924, il se trouvait dans les bois, au Nord-Est de Cochrane, dans un secteur absolument désert, quoique proche de la ligne du chemin de fer Canadien National.

Aussi, quelle ne fut pas sa stupéfaction, au cours d’une partie de chasse, de rencontrer un homme évanoui, un homme de sa taille et lui ressemblant étrangement, quoique ses cheveux fussent d’un blond terreux et sa lèvre rase.

Il lui porta secours et lui vit bientôt ouvrir les yeux, des yeux étranges, exagérément fendus, dans lesquels se lisait une frayeur de bête traquée. Malgré son malheur, dont il ne s’était jamais remis, malgré la vie sauvage qu’il avait menée depuis, Paul Gravel avait toujours conservé un cœur bon et secourable. Aussi s’empressa-t-il de rassurer le malheureux :

— Calmez-vous, mon ami, et ne craignez rien ; aucun danger ne vous menace. Je suis armé et d’ailleurs, en plein jour, la rencontre d’un ours ou d’un loup n’est pas redoutable et vous devez savoir comme moi que ces animaux sont rares dans cette région en cette saison de l’année !

— Qui êtes-vous ? demanda l’homme anxieux.

— Un prospecteur. Mon camp est tout près d’ici. Et vous ?

— Moi ?

L’homme semblait déconcerté par cette question, cependant toute naturelle ; Paul s’en aperçut et reprit aussitôt :

— Peu importe d’ailleurs ; le plus pressé est de vous réconforter et de panser votre main blessée. Rassemblez vos forces et suivez-moi jusqu’à mon camp.

Une heure après, Paul repartait en chasse, le nouveau venu et lui ayant dévoré de bon appétit l’unique lièvre tué le matin, accompagné de quelques galettes de sarrasin et arrosé d’une eau pure et fraîche. Il laissait au camp son compagnon, plongé dans un profond sommeil.

Quand ce dernier s’éveilla, au bout de plusieurs heures, il chercha à rassembler ses souvenirs. Avec une rapidité de cauchemar, il revécut cette nuit mouvementée, où, pris à tricher, il avait eu la main traversée d’un poignard, puis était tombé sous les coups de ses victimes ; il revoyait les flammes l’environnant dans le tripot incendié, Hector le sauvant d’une mort certaine.

Après son second évanouissement, il s’é-