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L’EMPOISONNEUR

allait refuser, exiger une association ?… Ou bien, si, après avoir accepté, il revenait périodiquement réclamer de nouveaux subsides !

Pris dans l’engrenage, Joseph Lespérance arpentait son bureau en proie à une rage fébrile.

Cette nuit-là encore, les fantômes accusateurs vinrent hanter son sommeil, guidés par une face grimaçante, glabre et maigre, imberbe et ravagée de rides, dont le regard perçant et froid contrastait étrangement avec le sourire cynique et cruel.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La visite de Lorenzo ne se fit pas attendre, dès le lendemain, on annonçait Luc Valade à l’office de Paul Gravel ; les deux hommes étaient en présence, sans témoins, et de suite, le duel commença :

« Merci, mon petit, attaqua Lorenzo d’un ton de persiflage, tu es très gentil de m’avoir sorti de ce mauvais pas !… C’est très bien de ne pas abandonner les amis dans le malheur !… Il est vrai que tu me dois ta fortune, car c’est avec moi que tu as fait l’apprentissage de la noble profession de bandit !

— Plus bas, malheureux !…

— Soupçonnerais-tu tes gens d’écouter aux portes ?… Ah ! fi ! les vilains personnages ! … Il faudra les remplacer par des hommes de confiance !… Je m’en charge ! … En attendant, tu as raison, parlons bas et… dis-moi ?… Qu’est-ce que tu en as fait ?

— De quoi ?

— Tu devrais dire : « De qui ? »

— Je ne vous comprends pas ! De qui voulez-vous parler ?

— Eh ! mais… du vrai Paul Gravel, voyons !… Il est mort ?

— Que vous importe !

— C’est un aveu !… Mes compliments ! Tu as fait des progrès !… Tu ne travaillais pas dans le meurtre quand je t’ai connu !

Finissons-en !… Qu’attendez-vous de moi ?

— Mais ton sermon, mon petit !… Le chef de police ne m’a envoyé ici que pour y être converti par tes bonnes paroles !… Vas-y !… Je t’écoute !… Je suis curieux d’entendre prêcher Joseph Lespérance, le voleur, le faussaire et l’assassin !

— Ah ! ça, te tairas-tu ?

— À la bonne heure !… Tu me tutoies ! Tu deviens plus familier et pour un peu, je me croirais revenu aux beaux jours de notre association, quand nous volions aux cartes les braves prospecteurs de Timmins !…

— Encore une fois, que me voulez-vous ?

— Oh ! tu peux me tutoyer, tu sais !… Ce que je veux ? Je te le répète, j’attends ton sermon !

— Je t’en dispense !… Par conséquent, si c’est là tout ce que tu désires…

— Non, ce n’est pas tout !

— Soit ! Combien ?

— L’honneur de te servir.

— Que veux-tu dire ?

— Eh bien ! moi aussi, j’ai envie de changer de vie !… Être toujours traqué, changer d’état-civil et de résidence plusieurs fois par an, c’est très désagréable pour un homme de mon âge !… Comme toi, je veux devenir un citoyen honnête et respectable, ou tout au moins respecté !

— Si je te comprends bien tu veux t’établir ?

— C’est à peu près cela !

— Combien te faut-il ?

— Combien payes-tu ton maître d’hôtel ?

— Peu importe !

— Tu as raison !… Sa paye ne me suffirait pas !… Il me faudra cent piastres par semaine !… Dans huit jours, je le remplacerai !… D’ailleurs, il me déplaît !

— Toi, chez moi ?… Tu es fou !

— Pas du tout !… Je ferai un très respectable larbin et j’aurai la joie de ne plus jamais te quitter !

— Et si je refuse ?

— Si tu refuses ?… Demain, la police partira à la recherche d’un cadavre.

— Elle ne le trouvera pas !

— Ce qui signifie que tu l’as bien caché !… Encore un aveu !… Décidément, tu n’es pas de force, mon pauvre petit ! … Admettons d’ailleurs que ce cadavre soit introuvable. Lise Gravel, alias Lise de Beauval, ne l’est pas ! Quand vous serez confrontés et qu’elle sera prévenue, elle ne tardera pas à découvrir que tu n’es pas son mari !… Allons, ne m’examine pas avec cet air de regarder passer un train !… Tu comprends bien que lorsque je t’ai reconnu, j’ai fait ma petite enquê-