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L’EMPOISONNEUR

suite. Tu sais bien qu’avant cela, tu dois épouser sa sœur. En attendant, continue à soigner l’enfant suivant mes instructions : il faut qu’après-demain, elle ait la crise annoncée !

— Mais ne vous rendez-vous donc pas compte de l’horreur de ce crime à petit feu ?… Ne réalisez-vous pas ce qu’il y a d’ignoble, de révoltant, à verser lentement dans les veines de cette faible victime, le poison qui la tuera un jour ?

— Il est un peu tard pour y songer quand la besogne est à moitié faite.

— Je ne l’achèverai pas !

— Tu l’achèveras !… ou tu retourneras… d’où tu viens !

— Soit ! vous pouvez m’envoyer au bagne ! Mais ici, ce n’est plus le bagne que je risque, c’est la corde, et je ne continuerai pas l’œuvre diabolique que vous me forcez à accomplir, sans savoir quand et comment j’en serai récompensé !

— Tu veux connaître mon plan ?… Eh bien ! soit, je vais tout te dire, mais après, si tu hésites à m’obéir, ce n’est pas au bagne que je t’expédierai, mais dans l’autre monde !

— Voici : Blanche se trouvera à sa majorité l’héritière d’une grosse fortune que je convoite ; cependant, si elle meurt avant d’atteindre cette époque, la fortune revient à sa sœur aînée. Donc, il faut que tu épouses cette dernière sous le régime de la communauté, puis que la petite soit emportée par sa terrible maladie ; tu connais suffisamment la médecine pour régler ce détail.

— Mais qu’est-ce que tout ceci vous donnera ?

— Ma part ! Car, dès que tu palperas l’héritage de ta femme, tu m’en remettras la moitié, faute de quoi, je lui raconterais tes expériences médicales.

— Et si la mort de Blanche entraîne une autopsie ?

— Que trouvera-t-on ?… Que le remède indien que tu lui administres est celui que recommande la Faculté pour combattre l’hémophilie ! Mais, comme il se trouve qu’une dose un peu trop forte du même remède produit l’effet contraire, rien n’est plus facile pour toi que d’obtenir la main de Mademoiselle Lespérance. Quand tu es reçu gentiment, tu donnes à ta malade la dose convenable, tu la soignes enfin comme le ferait tout bon médecin. Mais quand on te congédie, je t’introduis dans la place en cachette et, par une piqûre un peu chargée, tu provoques une hémorragie. Aussitôt, on s’affole, on te rappelle, on te supplie de pardonner, de revenir et, finalement, on t’accordera ce que tu demandes !… Allons ! sois sans crainte ! Ce procédé a déjà fait ses preuves ; c’est grâce à lui que Raspoutine tuait lentement le tsarévitch pour mieux tenir sous sa domination l’Impératrice de Russie !… Maintenant, va, mon garçon et, après demain, apporte tout ce qu’il faut !

Vaincu, le médecin s’en allait maintenant, les épaules basses, sentant bien qu’il ne pouvait se révolter contre une volonté plus forte que la sienne, et secondée d’une arme terrible : le chantage.

Un moment, il songea à fuir, mais à quoi bon ! Le terrible vieillard saurait bien le retrouver et l’exécuter froidement. Alors, il prit son parti de perpétrer sans faiblesse le crime affreux dans lequel il était engagé, mais il ne partagerait pas la fortune convoitée, car il prit la résolution farouche qu’après Blanche, il ferait mourir l’instigateur du complot.

Mais, tandis que le docteur regagnait son domicile, en prenant cette farouche détermination, Lorenzo Lacroix, alias Grimard, s’enfonçait dans son fauteuil pour y fumer tranquillement une pipe, en échafaudant un plan en vue de se débarrasser de son neveu, quand viendrait le temps du partage.


IV

L’INCONSTANCE DE CHARLOT


Le surlendemain du jour où ces événements avaient pris lieu, Jeannette passait par des alternatives de crainte et d’espoir ; en effet, bien que la date fixée pour une rechute fût atteinte, aucun changement ne s’était produit dans l’état de la malade, mais il y avait encore l’après-midi et la soirée à redouter. De plus, Jeannette devait aller à la manufacture reporter l’ouvrage terminé et en recevoir d’autre, et elle s’affolait à l’idée de quitter l’enfant sous le coup d’une terrible menace.

Mais le vieux père Grimard lui avait offert de venir garder pendant son absence et, après dîner, Madame Papin s’étant arrêtée pour l’attendre et faire route avec