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Page:Nel - La flamme qui vacille, 1930.djvu/14

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LA FLAMME QUI VACILLE

bons camarades, tous les deux, n’est-ce pas ? Pourrai-je vous écrire ?

— Je serais chagrinée si vous ne le faisiez pas.

— Et moi, je serais bien ingrat. Avez-vous un filleul de guerre ?

— Oui.

Elle jouit un moment de son désappointement visible et, ne voulant pas lui causer de peine, elle explique :

— C’est un pauvre garçon, pas jeune et très laid. Il est seul dans la vie.

Enhardi, il précise :

— Avez-vous… un fiancé ?

Il voit ses paupières battre d’émotion, tandis qu’elle répond, d’une voix qu’elle voudrait empêcher de trembler :

— Non… pas encore !

Au moment de toucher au bonheur, il hésite un peu et n’ose se déclarer :

— J’ai longuement parlé de vous à ma mère. Voici ce qu’elle me répond. Je vous en prie, lisez, puisque cela vous concerne.

Les yeux humides, Cécile se décide à lire la lettre dont — elle en est sûre maintenant — dépend le bonheur de toute sa vie.

« Mon cher enfant,

« Je ne chercherai pas à te cacher la surprise et la peine que ton aveu nous a causées. Ce n’est qu’après avoir bien hésité que ton père et moi te disons ceci :

« Nous aurions souhaité te voir épouser une compatriote, car malgré l’analogie de race, il existe toujours des différences de traditions, qui peuvent être la source de bien des désillusions.

« D’abord tout ce que tu nous dis de Mademoiselle de Kerlegen, nous sommes prêts à l’aimer et à la recevoir comme notre fille, car nous avons toute confiance en ton jugement honnête et sain.

« Mais je crains pour elle une déception qui causerait votre malheur à tous deux. Elle n’a pas de fortune et cela importe peu, mais tu n’en as pas non plus, ne l’oublie pas. Tu as un brillant avenir, tu nous l’as prouvé, mais pour que tu réussisses, il te faut mieux qu’une épouse, il te faut ce que j’ai été pour ton père, une alliée, une collaboratrice.

« L’éducation de Mademoiselle de Kerlegen ne me semble pas l’avoir préparée à ce rôle et je crains qu’il ne la rende pas heureuse.

« Je ne doute pas de ses hautes vertus cependant, et je compte sur sa piété pour l’aider dans une tâche délicate.

« D’ailleurs, je sens que ton cœur est trop pris, que l’amour y est trop profondément ancré, pour m’opposer à ce que tu tentes d’assurer ton bonheur.

« Donc, mon cher enfant, nous te donnons notre consentement, qu’en fils respectueux et dévoué, tu nous as demandé, mais nous te conseillons de bien faire comprendre à celle que tu désires épouser que ce qui l’attend avec toi n’est pas la vie de luxe et d’oisiveté que sa naissance pouvait lui faire espérer, mais une vie de courage, d’amour et d’abnégation.

« Fais ta demande, mon cher enfant. Je prie pour qu’elle soit agréée, puisque ton bonheur est en jeu.

« Mais je t’en prie, et je te demande cela pour celle que tu aimes, restez fiancés jusqu’à ta libération. N’encours pas le risque de faire une malheureuse de plus, s’il fallait que tu sois mutilé ou tué.

« Ces mots cruels me déchirent le cœur, mais il fallait qu’ils soient mentionnés. Toutefois, je prie tant pour toi que j’ai confiance que Dieu te protégera jusqu’au bout.

« Tu trouveras ci-joint deux lettres.

« L’une est adressée à la tante de Mademoiselle de Kerlegen pour lui faire notre demande officielle.

« L’autre est le témoignage de notre affection pour celle qui va devenir notre fille.

« Que Dieu te garde, mon cher enfant ! N’oublie pas, dans le bonheur, ceux qui loin de toi, souffrent cruellement de ton absence.

« Et reçois les plus tendres baisers de tes vieux parents qui t’aiment du plus profond de leur cœur. »

T. V. MERVILLE.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Julien, pâle et ému, suivait sur le visage expressif de la jeune bretonne, les reflets des sentiments divers que provoquaient en elle la lecture de cette lettre. Quand elle termina, ses yeux étaient baignés de larmes de douce émotion.

Julien, d’une voix étranglée, demanda :

— Eh bien, chère Cécile, que sera votre réponse ?

— Je vous aime depuis longtemps, Julien, et déjà, j’aime votre mère. Je serai heureuse d’être votre épouse et votre alliée, de partager vos peines et vos joies.

— Et moi, je vous promets de lutter de toutes mes forces pour faire de vous la petite reine que vous méritez d’être.

Madame Coubès, dont ils n’avaient pas remarqué l’arrivée, était toute attentive, malgré sa surprise. Elle donna sans peine son consentement, disant que ce serait un vrai péché de séparer un si beau couple.

Et elle s’enfuit dans sa cuisine, pour y pleurer à son aise.


X

UN MOIS DE RÊVE


Dès ce jour où leur promesse fut échangée, la vie, pour les deux amoureux, passa avec la rapidité d’un songe heureux. Ils faisaient ensemble de beaux projets dont le premier, qui était que leurs fiançailles fussent bénies en la chapelle du vieux manoir de Kerlegen, se réalisa bientôt.

Tandis que Julien Merville visitait les curiosités, les monuments et les musées de la Ville-Lumière, Cécile faisait les démarches nécessaires pour avoir un congé de trois semaines, ce qu’elle obtint sans difficulté.

Et, un beau jour, les jeunes gens, chaperon-