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Page:Nel - La flamme qui vacille, 1930.djvu/21

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LA FLAMME QUI VACILLE

— Ça vous fait un drôle d’effet ! ne put s’empêcher de remarquer Julien.

— C’est pas de ça que je pleure, mais c’est tous vos mics-macs, vos drapeaux, vos tambours qui trompettent, vos clairons qui tambourinent !… Moi, ça me remue, ces affaires-là ! Quand je pense que j’aurais pu devenir la femme d’un maréchal, comme Madame Sansgêne !… En attendant, faut bien que je me contente avec mon « plombeur ! »

— Et vous allez me quitter ?

— Il le faut bien. Mon mari me prend comme comptable. Il dit que, comme ça, ses intérêts seront mieux surveillés.

— C’est un point de vue !

— Dame ! si je fais sa caisse, j’aurai pas besoin d’y faire les poches ! ne put s’empêcher de plaisanter Mélanie, chez qui la drôlerie était innée.

Julien, lui, était trop préoccupé pour relever la boutade ; il déclara :

— Je ne vous cacherai pas que votre départ va bien m’embarrasser.

— Mais Mademoiselle Sarment est la perle des secrétaires, Monsieur Merville, et si vous voulez que je la mette au courant du bureau, elle fera certainement l’affaire.

— J’en serai ravi. Vous connaissez la dactylo, la sténo ?

— Comme son ave et son pater, intervint l’intarissable Mélanie. Je chambre chez eux. Ça fait que le soir, j’y donnais des leçons. Mais la voilà rendue qu’elle pourrait en remontrer à son professeur.

— À merveille ! conclut Julien. Cela me fera de la peine de vous perdre, Mélanie, mais je suis heureux d’employer la fille de mon vieux camarade.

Rosaire remerciait avec émotion et allait prendre congé quand l’importateur eut une généreuse pensée :

— Et toi, fit-il. Tu sais lire ?

— Pas très vite, mais je lis bien.

— Écrire ?

— Un peu !

Julien réfléchit une seconde. Certes, le bonhomme ne pouvait guère lui être utile, mais, quand on est riche, on peut se payer le luxe de causer une grande joie à un malheureux qui en est digne. Il décida :

— Mélanie. Vous amènerez aussi Monsieur Sarment au bureau.

— Qu’est-ce qu’il faudra lui faire faire ? lança étourdiment la sténographe.

Sans hésiter, Julien déclara :

— Classer les commandes du mois dernier.

À voix basse, il s’empressa d’ajouter :

— Mélangez-les bien qu’il ne s’aperçoive pas qu’elles étaient déjà classées.

Puis, tout haut :

— Demain, je lui trouverai autre chose.

Le pauvre Rosaire ne pouvait en croire ses oreilles. Il s’écria, radieux :

— Comment ? Je vais travailler pour vous, avec la petite ?… Ah ! comment vous remercier, Monsieur Merville.

— En faisant ton devoir… comme tu l’as fait là-bas !

— Ah ! vous allez voir si je vais me planter. Allons vite ! j’ai hâte !

— C’est parfait. Je vais à la bourse, ce matin. Je ne me rendrai au bureau que vers la fin de l’après-midi. Ainsi, vous serez moins gênés, tous les deux, pour vous familiariser avec vos nouvelles fonctions.

— Ayez pas peur ! Ayez pas peur ! Je vais vous les classer, vos commandes. Ah ! merci, Monsieur Merville, merci !… Allons, viens, petite ! Et remercie Monsieur Merville. Il est aussi brave homme qu’il était brave capitaine !

Sa joie était vraiment touchante et c’est avec une émotion sincère et profonde, que Simone, devinant le geste généreux de son nouveau patron, lui adressa ces paroles de gratitude :

— Monsieur, pour toute la joie que vous donnez à mon père, je vous remercie du fond du cœur.

Trop tard, elle voulut retenir le mouvement spontané de tendre la main ; il l’avait déjà prise en disant, très ému, lui aussi :

— J’en suis bien heureux, mademoiselle ! C’est à ce moment que Cécile entra.


III

CE QUE FEMME VEUT…


Elle fronça les sourcils et, feignant de se retirer, s’excusa d’un ton qui voulait être détaché, mais, que contredisait le froncement involontaire des sourcils.

— Reste, Cécile, dit tranquillement Julien avant de prendre congé de ses visiteurs.

Après leur départ, se frottant les mains, il lança, enjoué :

— Et puis, quoi de neuf ?

— Moi ?… C’est à toi qu’il faut demander cela !

Distrait, il ne remarqua pas l’intonation sarcastique, indice précurseur de la scène et c’est d’un ton léger qu’il réparti :

— À moi ?… Au fait, tu as raison. Cette bonne Mélanie me quitte. Elle va se marier.

— Je sais !… Je crois que tu ne perdras pas au change.

— Je l’espère, mais je n’en suis pas certain. Malgré son apparence étourdie, Mélanie est une excellente secrétaire.

— Simone la remplacera avantageusement.

— Simone ?

— Ne prends donc pas l’air de tomber de la lune. Simone, que tu viens d’engager.

— Ah ! elle s’appelle Simone ?… je l’ignorais.

— Oui, je sais !

— Quoi ? Tu sais ? Son prénom n’a pas été prononcé devant moi. Il n’y a là rien d’anormal.

Le duel était engagé. Sans même s’en apercevoir, il avait mordu et gagnait la première manche.

Après un court silence de réflexion stratégique, l’adversaire c’est-à-dire Cécile, reprit :

— Elle est très jolie, Simone.

— Ma foi, je n’ai pas remarqué.

— Non… je sais !

— Enfin, tu sais… tu sais quoi ?… Tu ne vas