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Page:Nel - La flamme qui vacille, 1930.djvu/26

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LA FLAMME QUI VACILLE

Le soldat, qui était en lui, réagit. Il s’ébroua, passa dans sa chambre où, avant de se confier au sommeil, il demanda au Maître de la Destinée, de permettre que son souffle divin ranimât le feu sous la cendre.

Le lendemain, à l’heure de la fermeture, une véritable tempête se déchaîna. Julien Merville, sachant que Rosaire et sa fille habitaient le quartier ouvrier de Saint-Henri, assez éloigné de son bureau de la rue Saint-Jacques, insista pour les déposer chez eux en automobile. En arrivant, par politesse, Sarment l’invita à monter se réchauffer un peu et Julien, heureux de reculer un peu le moment d’être seul, acquiesça.

Il accepta sans plus de manière la cordiale invitation à partager le modeste repas. Et, tout naturellement, il s’attarda à la veillée. Mélanie et son fiancé étaient venus, ainsi qu’un jeune homme de contenance timide, qui lui sembla vaguement courtiser Simone.

Cette soirée, où il se montra plein d’entrain, lui laissa un si bon souvenir que, peu à peu, il prit l’habitude de venir, chaque soir, faire un bout de veillée, selon l’expression populaire.

Cécile ne sembla même pas remarquer ses absences. En réalité, elle en souffrait, se laissant aller à mille suppositions inquiétantes, mais elle était trop fière pour provoquer une explication qui, peut-être, aurait été fort salutaire.

Les événements allaient se charger bientôt d’amener la crise qui détruirait… ou panserait.

.........................

La rose était épinglée. Naïvement, Simone fit cette remarque :

— Ça vous rajeunit de dix ans !

— C’est que j’en aurais besoin !

— Oh ! ce n’est pas ce que j’ai voulu dire !

— Vous êtes trop polie pour ça !

— Certainement !… Oh ! vous me faites dire des bêtises !

— Rassurez-vous, je ne vous en veux pas !

— C’est moi, qui devrais vous en vouloir.

— Alors, pardonnez-moi !

— Oh ! Monsieur Merville !

Abandonnant cet innocent marivaudage qui, visiblement, gênait la timide dactylographe, Julien s’informa des choses du bureau.

— Rien de nouveau ?

— Il y a eu un téléphone de Madame Merville. C’est mon père qui a répondu.

— Le courrier n’est pas terminé ?

— Mais si monsieur, j’achève. Seulement, je voudrais le relire. Je n’ai pas eu le temps.

— Ça ne fait rien. Il faut que je repasse par ici dans une demi-heure ; je le signerai à ce moment-là.


V

PREMIER ORAGE


Après le départ de Monsieur Merville, Simone s’absorba dans la correction du courrier. Comme elle terminait, son père vint lui demander de vérifier un dossier qu’il achevait de classer.

Elle y trouva une légère erreur, qu’elle rectifia en la lui expliquant. Le bonhomme l’écoutait avec admiration :

— Comme tu est instruite, chère enfant. Et moi, qui ne suis qu’une vieille bête.

— Mais non, voyons, papa. Tu travailles très bien.

— Moi ?… je suis un bon à rien !

— Petit père !

— Ah ! si c’était dans le bâtiment !… Mais dans le bâtiment, on ne veut plus de moi, rapport à mes reins !… Ah ! saudite guerre ! Saudits boches !

— Voyons, ne t’emporte pas. Tu sais que c’est mauvais pour ton cœur. Le médecin te l’a défendu.

— Ah ! le médecin, le médecin ! Il en a assez envoyé chez le diable, qu’il y aille à son tour.

— Voyons, voyons, ne te fâches pas, petit père.

— J’me fâche pas ! J’me fâche pas… mais y a des moments que j’enrage !

La colère du vieux grognard tomba tout net en apercevant, dans l’entre-bâillement de la porte le visage cocasse de Mélanie, qui, après s’être assurée de l’absence de Monsieur Merville, lança un joyeux :

— Coucou !… On peut entrer ?

Après les salutations, elle s’informa :

— Et puis, Monsieur Sarment, comment vous sentez-vous dans vos nouvelles fonctions ?

L’ancien caporal se redressa, montrant ses manches de lustrine, comme un général montrerait ses étoiles, et affirma :

— De première classe !… Et comment trouvez-vous que mon uniforme me fait ?

— Extra ! On dirait que vous êtes venu au monde avec.

— Et ton fiancé ? intervint Simone.

— Toujours aussi pire.

— Tu dois le rencontrer ce soir ?

— Non, il va a l’enterrement.

— Le soir ? un enterrement ?

— Oui. Le sien !… Bien oui, son enterrement de vie de garçon. Aussi bien dire qu’ils vont veiller un quart… un petit quart de bière.

— Tu passeras la soirée avec nous.

— Certain, mais s’ils viennent, vous me cacherez, parce que je les connais, les velimeux ! Quand ils auront quelques verres dans le nez, ils vont charger mon Polyte sur un brancard et venir me faire une sérénade. Mais je vais leur jouer un tour : j’me montrerai pas. Comme ça, ils n’auront pas la chance de licher la mariée.

— Eh bien ! c’est entendu. Paul et Monsieur Merville viendront probablement.

— Dis donc ?… Tu ne trouves pas qu’il vient un peu trop souvent, Monsieur Merville. Il risque de te compromettre… ou bien donc moi.

— Monsieur Merville ? Nous compromettre ? Mais il est marié !

— Ouais ! C’est pas toujours ça qui les arrête, les velimeux d’hommes ?