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Page:Nel - La flamme qui vacille, 1930.djvu/33

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LA FLAMME QUI VACILLE

vous passe un papier qu’il ne s’en plaint pas. Souvent, il me regarde en soupirant : « Mélanie, qu’il me dit, depuis que tu es ma femme, mes affaires sont plus prospères. D’abord, comme comptable, t’es pas battable et avec toi, je peux avoir confiance. Ensuite, comme cuisinière, t’es de première classe. Et puis, quand j’ai l’esprit tranquille et l’estomac plein, je travaille de meilleur cœur ! » Non, mais, y m’aime-t’y, c’t’homme-là, y m’aime-t’y !

— Mais comment se fait-il que tu ne travailles pas, un samedi matin ?

— Le magasin est fermé, pour cause de deuil.

— De deuil ?

— Oui, c’est notre meilleur client…

— Qui est mort ?

— Non, qu’est parti en Europe en oubliant de payer son « bill. » Il l’a oublié de bonne souvenance, comme de juste. Aussi bien dire qu’on peut en faire son deuil. Ce qui fait que mon vieux a pas le cœur à l’ouvrage, ni a la gaieté, non plus ! Aussi, moi, je suis sortie, parce que j’aime pas ça, le voir triste.

Bientôt, Cécile eut une nouvelle alerte, en entendant frapper à la porte. Mais c’était Paul et papa Rosaire qui venaient faire une petite visite « en passant. »

Ils bavardaient joyeusement tous les cinq, car l’ouvrage était terminé ; pourtant Simone prêtait l’oreille. Tout à coup, elle chuchota :

— Vite ! Cachez-vous tous ?

Et, tandis qu’ils se sauvaient par la porte de l’escalier de service, comme des collégiens se préparent à jouer un bon tour, Simone s’installait au bureau. Julien entra. Il était transformé ; ses traits détendus, son regard vif, ses couleurs revenues, son sourire franc, son allure dégagée, sa voix joviale, tout dénotait l’homme heureux, pressé de terminer sa besogne pour aller retrouver son foyer. Dès le seuil, il lança gaiement :

— Bonjour, Simone. Le courrier est terminé ?

— Le voici, Monsieur Merville.

— Merci !

Il relut les lettres, les signant au fur et à mesure et parut satisfait. Puis, l’heure n’étant pas sonnée de fermer les bureaux, il bavarda un peu :

— À part cela, rien de neuf ?

— Oui, Monsieur Merville. Nous partons dans l’Ouest, mon père, mon mari et moi, pour nous établir. Je dois vous quitter ?

— Me quitter ? Quand cela ?

— Aujourd’hui même !

— Mais c’est une trahison ! Et votre notice !

— Je me suis trouvé une remplaçante qui vous plaira beaucoup.

— Dites donc, petite Simone, savez-vous que vous n’êtes pas gênée de choisir vous-même votre remplaçante ?

— J’étais certaine qu’elle vous plairait plus que toute autre.

— Plus que vous, ce serait difficile. A-t-elle des connaissances professionnelles ?

— Elle est très instruite et, depuis un mois, elle s’entraîne ici, sous ma direction. Aujourd’hui, elle est parfaite et pourra, dès lundi, me remplacer.

— Savez-vous que ce n’est pas très gentil de me quitter aussi brusquement, après m’avoir fait des cachotteries ? Je vous en veux un peu.

— Oh ! Monsieur Merville !

— Allons ! quittez cet air désolé, petite Simone, vous savez bien que je n’ai pas le droit de vous en vouloir. Vous avez été la bonne fée…

— …de votre ménage ?

— Mais oui. Grâce à vous, le bonheur a repris sa place…

— …à votre foyer ?

— Oui. J’ai compris que je n’avais peut-être pas toujours été assez prévenant, fait assez de concessions, montré suffisamment d’égards envers ma femme, enfin, que les torts étaient…

— …le plus souvent de votre côté ?

— Mais… oui, en effet !… Elle-même se montre aimable, tendre et charmante pour moi. En un mot, grâce à votre heureuse intervention…

— …vous traversez une seconde lune de miel, plus belle, plus resplendissante que l’ancienne ?

Julien la regardait avec une surprise croissante. Elle expliqua :

— C’est curieux !… Toutes les phrases que vous prononcez, il me semble que je les ai entendues, ici-même, il y a quelques minutes.

— Entendues ici même ? Mais de qui ?

— J’y suis ! De votre nouvelle secrétaire.

— Ma nouvelle… Au fait, qui est-ce ?

— Je vais vous l’envoyer !

Et le laissant abasourdi et fort intrigué, elle sortit et Cécile entra, disant d’un ton gavroche de petite midinette :

— Bonjour, M’sieu Merville !

— Toi ?

— Êtes-vous satisfait de mon courrier. M’sieu Merville ?

— Comment, c’est toi qui as fait cela ? Et c’est toi qui, depuis un mois, t’exerces à ces ouvrages ?… Mais enfin, pourquoi ?

— Il y a deux mois, tu as retrouvé ta compagne aimante et douce. Je voulais te rendre aussi ton associée fidèle et dévouée.

— Quoi ? Tu veux…

— …ne rien négliger pour garder mon bonheur.

— Notre bonheur !

— Seulement…

— Quoi ?

Elle hésitait, trouvant difficile, après tant d’années de vaine attente, de faire l’aveu de ses espoirs :

— Je te préviens que… dans quelques mois… tu devras te chercher une autre secrétaire.

— Dans quelques mois ? Est-ce que… ?

— Je crois que oui.

Elle était devant lui, toute rose, les paupières baissées ; il l’attira dans ses bras !

— Oh ! ma chérie ! quelle heureuse nouvelle !…

Se soustrayant à la douceur de l’étreinte, elle se dégagea, soudain redevenue gamine :

— Chut ! Il y a du monde… là !

Elle alla prestement ouvrir et appela les visiteurs.

Déjà, Simone venait, la main tendue :

— Me pardonnez-vous, Monsieur Merville, de m’être permis de choisir votre nouvelle secrétaire ?

Plus ému qu’il ne voulait le laisser voir, il