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Page:Nel - Le crime d'un père, 1930.djvu/12

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LE CRIME D’UN PÈRE

rage satisfaite auquel répondit la faible plainte de la vaincue perdant connaissance.

Renouard se précipita dans la chambre de Jean-Paul : la fenêtre était ouverte : il courut au balcon : une silhouette masculine franchissait le mur du parc et disparaissait.

Ainsi, c’était vrai !… Il avait été odieusement trahi, berné !… Le secrétaire était resté ouvert, vidé des valeurs qu’il recélait !… Et le bébé dormait, inconscient du drame qui se déroulait près de son berceau.

À la vue de l’enfant, la jalousie furieuse de Renouard ne connut plus de bornes ; il leva un poing, rageur, sur la tête de l’innocent, puis une affreuse pensée lui vint :

Leur enfant !… Ils ne le reverront plus !… Il faut qu’il disparaisse !… Ce sera le châtiment de leur crime !

— Polyte, regarde bien la fortune qui s’en vient !

Zénobie s’approchait, suivie de son époux ; elle se pencha vers ce dernier et murmura :

— Où ça ? s’enquit Polyte, ouvrant démesurément les yeux.

— Là ! indiqua Zénobie en se frappant le front.

Puis, comme Renouard répétait :

— Oh ! oui, il faut qu’il disparaisse !

Elle déclara avec calme :

— Je m’en charge !… Si Monsieur veut me payer de suite cinq mille piastres, j’élèverai l’enfant et j’en ferai un homme, pas une poule mouillée, comme Polyte !

— Vous vous engagerez à disparaître avec lui et à l’élever convenablement ?…

— C’est juré !

— C’est bien, suivez-moi !

Et il se dirigea vers son bureau, accompagné des deux sinistres personnages.

 

Quand Henriette reprit connaissance, elle demeura un instant la tête vide de pensée, cherchant à se rappeler les événements. Sa main, meurtrie et douloureuse, évoqua le souvenir de la clef pour laquelle elle avait lutté jusqu’à complet épuisement !… La clef n’était plus là ! Et son frère ?…

Elle poussa un cri et s’élança vers la chambre de Jean-Paul. Devant elle, se dressa la haute silhouette du Professeur Renouard, qui dit avec âpreté :

— Où allez-vous, madame ?… Chercher vos bijoux ?…

— Comment, vous savez ?… balbutia-t-elle.

— Je sais tout, malheureuse !… Je sais que cet homme a fui, emportant vos bijoux !…

— Il a fui ?… Dieu soit loué !…

— Oui, il a fui, avec votre argent, vos bijoux… et votre enfant !

— Mon enfant ?… Ah ! non, non, vous mentez !

— Eh bien ! oui, je mentais !… Ce n’est pas lui qui l’a enlevé, votre enfant !… Vous auriez été trop heureuse d’aller les retrouver sans doute !

— Votre enfant ?… C’est aux deux misérables qui vous ont épiée et trahie que j’ai confié le soin de l’emporter, de l’élever loin de vous !… Vous ne le reverrez jamais, vous m’entendez, jamais, ou bien, si le hasard vous les fait retrouver un jour, ce sera dans la honte, le vice et le crime !

— Mon fils ! mon fils !… Ah ! non, non, vous n’avez pas fait cela !

— J’ai vengé mon honneur !

— Votre honneur !… Mais vous voulez dire que vous vous êtes déshonoré à jamais par le crime le plus infâme qu’on puisse commettre !… Vous avez calomnié une femme innocente et fidèle, la vôtre ; et vous parlez d’honneur !… Vous avez arraché un enfant à sa mère, et cet enfant, c’est le vôtre, entendez-vous, le vôtre, je le jure devant Dieu qui nous entend ; et vous parlez d’honneur !… Enfin, vous avez brisé en moi tout ce qui m’attachait à la vie : mon amour pour vous et la joie d’élever notre fils, votre fils, la chair de votre chair, le sang de votre sang ; et vous parlez d’honneur !… Ah ! tenez, vous êtes un monstre !… Je ne vous reverrai plus de ma vie !… Je vous déteste !… Je vous hais !… Et je vous maudis !

Et Henriette Renouard s’enfuit dans l’ombre du soir, laissant derrière elle le foyer détruit où elle avait vécu des jours heureux !…


CHAPITRE IV

JOLLY RIDE


Chancelle
Et tu n’es plus aussitôt qu’un jouet
Que le destin, de ses coups de fouet
Harcèle.


Henriette Renouard, vibrante d’indignation et de douleur, le regard fixe, l’air hagard, marchait, telle un automate, droit devant elle, ignorant où elle portait ses pas, inconsciente des passants qui se heurtaient contre elle, sourde aux grognements de grincheux bousculés, aveugle aux regards intrigués des badauds.

Elle marcha longtemps, indifférente à tout, absente du monde ; le sang, bouillonnant dans ses veines, affluait à son cerveau où tout n’était que douloureux chaos.

La nuit vint et avec elle la lassitude, amenant une détente nerveuse ; la malheureuse se laissa tomber sur un banc et des larmes montèrent à ses yeux brûlants de fièvre ; avec l’apaisement de son agitation, elle retrouva la raison — nouvelle douleur, — elle put revivre l’épouvantable scène et son fatal dénouement : son fils, son petit Jean-Paul était à jamais ravi à son affection, soustrait à sa tendresse ; non seulement elle ne le reverrait plus, ne pourrait plus lui prodiguer ses soins vigilants, ses caresses, mais le malheureux bébé était entre les mains des misérables qui n’avaient pas craint de l’insulter grossièrement et de la calomnier auprès de son mari, pour se venger d’une réprimande. Quel avenir attendait l’enfant ? Et si jamais elle le retrouvait plus tard, ne serait-ce pas, comme l’avait dit le professeur, dans la honte, le vice et le crime ?

 

Il y avait plus d’une heure qu’elle était là, anéantie, abîmée de douleur, lorsqu’un pas sonore et régulier lui fit lever la tête ; un policeman approchait tranquillement, faisant sa ronde ; craignant d’être questionnée, elle se préparait à se lever pour s’éloigner, lorsque soudain, elle resta figée, frappée de stupeur et d’épouvante.