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La seule différence qu’il y avait entre M. Grapin, le pere et Mr. de la Grapinière, le fils, c’est que le premier fut un célèbre cancre qui vécut volontairement au sein des richesses, aussi affamé que Tantale y vécut par enchantement, tandis qu’au contraire son successeur, (je dis notre la Grapinière) était né avec des passions compliquées qui ne lui permettaient point de marcher sur les traces de son avare géniteur. — La Grapinière fils, élevé dans un collège avec de jeunes Seigneurs, y avait appris à singer ces petits Messieurs ; certaine intimité sur la quelle on ferme les yeux dans les maisons d’éducation où les pensions sont fort chéres, l’avait mis au pair avec ces illustres condisciples ; il envia leur luxe, il gouta les détails de leur jactance arrogante ; en un mot, il brûla de pouvoir, comme eux, citer un jour familiérement, mon oncle le Comte, mon cousin le Marquis. La Grapinière sentit donc de bonne heure que, pour arriver à ce but, il lui était indispensable de s’aparenter, n’importe à quel prix, avec quelque famille titrée. C’est ce qu’il avait heureusement exécuté en faisant agréer la moitié de son lit, à Cunegonde, Alphonsine, Dorothée, Clotilde, Dieudonné de Valrose Montpelé, demoiselle de haute motte, fille de très haut et très puissant seigneur, monseigneur de Montpelé &c. &c. Maréchal des camps et armées du Roi, cordon rouge, gouverneur &c. mais, à qui d’ailleurs ses fiefs maternels (je dis la demoiselle) n’avaient pas rapporté pendant sa minorité cent écus d’argent liquide… N’importe, elle était un excellent parti selon les vues de notre millionaire, et cela d’autant mieux qu’étant luxurieux, il avait l’aubaine de la plus désirable jouissance ; il est vrai que la jeune personne, privée des soins vigilans d’une mère, s’était laissée oter ses gants, mais sa main n’en parut que plus belle à la Grapinière. Avec une certaine dose de bon sens, il sentit fort bien qu’un si beau fruit n’aurait peut-être pas été pour lui, s’il ne se fut trouvé tant soit peu verreux. Finalement la Grapinière qui avait fait vœu de penser et d’agir toute sa vie en homme de cour, ne tint aucun compte de l’absence du pucelage de la beauté qui daignait s’allier à lui. C’était un ami cher, le chevalier de Monsescroc, un compagnon de collège, un ancien ami par mutuelle inoculation, qui avait ravi la fleur précieuse à la faveur d’une grande habitude qu’il soutenait avec le général : or, c’était cet ami lui même qui s’était mêlé du mariage, et l’avait fait réussir. Comment dès lors

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