Page:Nerciat - Félicia.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

range. Il ne faudra pourtant pas vous scandaliser, mademoiselle ; il y aura peut-être dans ce que je vous dirai des choses… — Dis, ma chère Thérèse, je suis très difficile à scandaliser. Poursuis. — De tout mon cœur. Pendant que M. le président était comme un diable après moi et se faisait abhorrer, je gagnais insensiblement les bonnes grâces de Mlle Éléonore, et je lui devins attachée de si bon cœur que, malgré les persécutions de son insupportable père, je résolus de demeurer uniquement à cause d’elle. Nous devînmes à la longue très bonnes amies ; elle me confia les affaires les plus secrètes et entre autres que, depuis près d’un an, elle soutenait une intrigue avec certain jeune officier. Une vieille guenon de femme de charge, préposée pour veiller de près sur Mlle Éléonore, gênait extraordinairement leur amour. Je fus priée de m’y intéresser. Mais vous allez voir à quel point Mlle Éléonore a l’esprit faux. Ce qu’elle imagina fut de me prier de prendre sur mon compte l’inclination de l’officier ; de me laisser apercevoir lui parlant et lui faisant même des agaceries ; de le recevoir en un mot, et de lui prêter quelquefois mon petit réduit. Cet amant devait épouser quelque jour ; mais ce ne pouvait être qu’après la mort d’un oncle, qui n’avait encore que cinquante-cinq ans et pas la moindre infirmité ; gaillard encore, du plus militaire enthousiasme et capable de casser bras et jambes à son cher neveu, s’il l’eût soupçonné d’en conter pour le mariage à la fille d’un président de province.

« Sans vouloir dépriser Mlle Éléonore, je puis croire que je la vaux, tout au moins pour la figure ; j’étais plus jeune, car, entre nous soit dit, elle a six bonnes années de plus que moi et elle est parfois quinteuse et maussade. Son officier, qui n’était pas amoureux à en perdre la tête, finit par s’ennuyer de tant de hauts et de bas ; il avait souvent occasion de passer des heures entières tête à tête avec moi, qui suis d’une humeur tout à fait opposée à celle de Mlle Éléonore. Il était joli, frais, entreprenant. Le président, me rabattant sans cesse les oreilles du doux plaisir qu’on goûte en faisant des heureux, fortifiait en moi le désir d’éprou-