Page:Nerciat - Félicia.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la grave présidente, dont l’appartement était contigu. Ensuite les musiciens et Sylvina, qui s’était aussitôt levée, vinrent à ma porte. Je les attendais et ne laissai jouer que le temps qu’il fallait pour ne point paraître prévenue. Je grossis bientôt leur bande avec Lambert, qui, se mêlant aussi de musique et jouant passablement de la flûte, venait se joindre aux concertants. Bientôt toute la maison fut à notre suite, excepté la présidente, Éléonore et Caffardot ; en un mot, nous étions très nombreux quand nous nous présentâmes à la porte de la chambre où reposait la tendre amante de Saint-Jean, la divine Cloé.

Arrivés sans bruit, nous débutâmes par le fameux air des Sauvages, sur lequel je savais par bonheur un amphigouri, qui répondait merveilleusement à l’envie que j’avais de berner la chère Éléonore, et non de la divertir. L’honnête président, admirateur de l’artiste à qui l’on doit le sublime morceau que nous exécutions, était seul de bonne foi : possédant cette pièce à fond, il raclait littéralement la basse continue avec le plus fervent enthousiasme. Aussitôt que l’air fut achevé, le chevalier ouvrit, criant à tue-tête : Forêts paisibles ; à quoi le cher père ne manqua pas de répliquer par une partie du chœur. Quant à moi, je continuais à chanter mes paroles burlesques, Lambert s’époumonait en soufflant dans sa flûte ; le tout faisait un charivari qui m’aurait considérablement amusée si je n’avais pas eu la perspective d’un amusement encore plus intéressant.

Ce fut le président lui même qui courut aux volets et fît jour. Les chants cessèrent subitement à l’aspect de la culotte ; le chevalier et moi jouâmes à ravir l’étonnement ; je tournai le dos, d’Aiglemont toussa, Sylvina parut stupéfaite, ainsi que Lambert et les autres spectateurs. Le président était à peindre, ayant passé tout à coup d’un enjouement, un peu fou pour son âge, à la colère la plus terrible. Tous les yeux, fixés à la fois sur la culotte, guidèrent sur ce fatal objet ceux de la malheureuse Éléonore. Sa confusion ne peut se décrire. Nous nous hâtâmes de sortir à travers une foule de curieux, parmi lesquels la perfide Thérèse, se