Page:Nerciat - Félicia.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pardonnez-moi, monsieur, s’est à son tour écrié le chrétien Caffardot, tombant du lit à genoux et se traînant dans cette posture jusqu’aux pieds du père outragé. Pardonnez : soyez assuré qu’épouser Mlle  Éléonore a toujours été mon unique désir et que si j’ai été assez faible pour succomber à la tentation d’en jouir… — À la tentation d’en jouir, malheureux ! a riposté le père redevenu furieux… Tu as encore l’audace de m’insulter, scélérat, et de calomnier ma fille ! tu en as joui… — Mais puisque vous le savez, monsieur, il faut bien qu’Éléonore ait tout avoué… — Alors un coup de bâton, pour lequel le vieux président a retrouvé toute la vigueur de la première jeunesse, a coupé la parole de Caffardot. Le ver, dit le proverbe, se redresse lorsqu’il sent qu’on l’écrase ; j’ai vu de même notre reptile frémir et mesurer d’un coup d’œil plein de rage la figure décrépite du père d’Éléonore. Cependant, afin de prévenir quelque acte de violence de la part du sournois Caffardot, je me suis mêlé de la querelle et, me joignant au président, j’ai traité l’autre de garnement : je l’ai menacé d’appeler des valets pour le lier et le conduire à la ville, où l’on saurait bien le forcer à justifier une fille aussi estimable que celle qu’il osait noircir par la plus exécrable des calomnies.

« Un dévot, dans de semblables occasions, a des ressources qui manquent au commun des hommes. Le malheureux, se prosternant la face contre terre, a offert à Dieu sa fatale disgrâce et entonné le Miserere d’un ton que le prophète lui-même avait sans doute à peine, quelque affligé qu’il pût être, quand il le composa. Mais je n’ai pas laissé le temps à notre David d’achever sa ridicule prière ; je l’ai fait habiller à la hâte : vous l’avez tous vu sortir de sa chambre, noyé de honte, écrasé de l’injustice de ses accusateurs, de la gravité des circonstances qui concouraient à le faire passer pour le faussaire le plus abominable ; je l’ai conduit hors des cours comme un banni. Il retourne à sa gentilhommerie à pied ; le président m’adore ; je suis son ami, son vengeur : à la ville, je dois être sa plus