Page:Nerciat - Félicia.djvu/136

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jeter partout le mouchoir. Il n’y avait pas une femme un peu passable dont il ne fût plus ou moins agacé. Je n’éclairais point sa conduite tant qu’il parut à peu près le même à mon égard. Quant à moi, j’étais excédé des fadeurs, des lorgnements, quelquefois offensée des offres utiles qu’on hasardait de me faire ; comme le beau chevalier était visiblement sur mon compte, on ne concevait pas la possibilité de m’avoir autrement qu’à force d’or. Cependant, ces grossiers spéculateurs étaient bien éloignés de deviner juste. J’adorais d’Aiglemont ; mais un instinct indéfinissable me faisait penser malgré moi-même à lui donner bientôt des successeurs. Dupe de ma propre inconstance, je croyais agir avec beaucoup de délicatesse en mettant de la sorte mon amant dans le cas de profiter des bonnes fortunes qui lui étaient offertes.

Je le voyais presque d’accord avec la signora Camilla Fiorelli, qui joignait à beaucoup d’autres talents ceux de chanter à ravir et d’être une excellente actrice. Argentine, sa sœur, moins habile peut-être, mais bien plus séduisante, faisait tout son possible pour avoir la préférence. De mon côté, je commençais à sentir un goût très vif pour le jeune Géronimo Fiorelli, leur frère, qui ne leur était inférieur ni par la figure, ni par les talents.

Sylvina et moi devions donc être éternellement en rivalité ! Aussi connaisseuse que moi, le mérite de Géronimo l’avait également frappée ; sans que je m’en doutasse, elle avait pris l’avance, et le beau jeune homme était déjà dans ses filets. J’en eus un jour des preuves accablantes. J’avais oublié quelque chose en sortant ; je rentrai, et je vis… ce qu’il est cruel de voir quand on aime… Cette fatale découverte acheva d’éclairer mon cœur. Le serpent de la jalousie le mordit ; mes jours furent empoisonnés. Je devins triste, rêveuse ; je fis mauvaise mine à mes amis, à monseigneur et presque au charmant chevalier. J’étais impatientée de l’air de bonheur qu’avait tout le monde, jusqu’à Lambert et Mme  Dupré.

Je songeais jour et nuit au moyen d’arracher à Sylvina