Page:Nerciat - Félicia.djvu/161

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mêlée des épithètes les plus outrageantes pour elle-même… On entendit enfin le pas de l’exécrable exécutrice. Camille pria qu’on se contraignît. La duègne parut avec un front assuré, portant les quatre tasses sur un plateau. Elle vanta beaucoup la qualité du chocolat et le talent qu’elle avait de le préparer supérieurement. Puis, ayant fait un second voyage pour apporter des échaudés, elle vit avec joie que chacun avait devant soi la tasse qui lui était destinée : on paraissait attendre, pour déjeuner, que la boisson, qu’on transvasait des tasses dans les soucoupes, fût un peu refroidie. Cependant Géromino dit qu’il ne se sentait point d’appétit et remit une des tasses coloriées sur le plateau. L’infâme empoisonneuse, trompée par la couleur, demanda cette tasse, et de là, forte, donna d’elle-même dans le piège qui venait de lui être tendu. Pendant qu’elle avait été dehors, on s’était hâté de substituer proprement au chocolat naturel, qui était en premier lieu dans la tasse coloriée, celui que devait avaler l’un des deux proscrits. Géromino, cruel comme tous les lâches, ne put être dissuadé de venger ainsi sa chère Argentine. Le chevalier, effrayé de tout ce qui se passait, n’osa avertir la perfide duègne. Géromino avait prévu sa gourmandise ; lorsqu’elle emporta le chocolat, il la suivit, sous prétexte de se faire donner quelque chose qu’il demandait, mais en effet pour empêcher qu’elle ne partageât avec quelque domestique la fatale mixtion. Il eut la satisfaction de la lui voir avaler avec sensualité.

L’effet fut prompt. D’affreuses convulsions l’annonçaient presque sur-le-champ ; une servante effrayée courut appeler des docteurs ; mais ce fut en vain : la duègne, vomissant mille imprécations, voulut noircir en mourant la coupable et repentante Camille : la scélérate, heureusement, ne savait pas un mot de français : ses dépositions décousues ne furent comprises ni des médecins, ni des spectateurs : il était évident qu’elle-même avait préparé le chocolat. Celui qui existait encore, et qu’on avait mêlé, constatait quelque dessein criminel ; mais ce secret demeurait entre les intéressés et ne pouvait se découvrir. La duègne venait d’exhaler