Page:Nerciat - Félicia.djvu/173

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naires, sorti de chez un misérable grammairien pour rentrer dans un collège, je n’ai jamais vu qui que ce soit de ma famille. On a payé pour moi régulièrement une modique pension. J’ai été mal entretenu, mal enseigné, humilié, battu ; voilà en raccourci, mesdames, le tableau de mon existence. Quoique vous me voyez passablement grand, je n’ai cependant que quatorze ans ; mais une vie dure m’a rendu précoce et je parais plus formé qu’on n’a coutume de l’être à mon âge. En effet, il y a déjà quelque temps que je raisonne, que je pense, et je me sens même capable de me faire un sort, venant de perdre par une démarche hardie le peu de ressources que je tirais de mes parents inconnus. On me nomme Monrose, mais ce n’est qu’un surnom : le principal du collège me l’a dit. Il a mes papiers et sait, lui seul, à qui j’appartiens et comment je devrais m’appeler. »

L’intéressant Monrose cessait de parler, mais nous voulûmes absolument savoir par quel hasard il s’était trouvé dans la compagnie de ces soldats et ce qu’il se proposait alors de devenir.

« — Mesdames, répondit-il en rougissant, je me suis échappé de mon collège, et, sur mon honneur, aucune puissance ne m’y fera jamais rentrer. Je n’ai rien de plus à dire. Le secret de ma fuite est de nature à ne pouvoir être révélé. » — Notre impatience redoublait : nous pressâmes Monrose ; il fit beaucoup de difficultés, mais se rendant enfin à nos instances, voici ce qu’il ajouta tristement et changeant plusieurs fois de couleur :

« — Je ne sais, mesdames, s’il est au monde un état plus malheureux que celui d’un enfant éloigné de ses père et mère et livré aux pédants. Ces bourreaux, à l’aspect farouche, au cœur dur, à l’âme vile, n’ont cessé de me persécuter ; né fier, emporté, j’ai eu plus à souffrir qu’un autre. Ajouter à la fatigue et à l’ennui de mes exercices, retrancher de ma nourriture et de mon sommeil, me priver des récréations et de la société de mes camarades, ont été les injustices journalières de ces monstres que j’abhorre ; heureux du moins si j’avais pu m’en faire abhorrer à mon