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CHAPITRE V


Comment l’Anglais se montra aussi aimable qu’il était vaillant.


Jusque-là, nous avions à peine vu notre brave Anglais, qui paraissait attacher très peu d’importance au service qu’il nous avait rendu, et, ne bougeant de sa chaise, il avait évité de se trouver à portée de nos remerciements. Cependant il nous donna la main pour descendre de voiture et nous demanda la permission de souper avec nous.

Si cet homme généreux n’avait pas l’air d’empressement qu’aurait pu se donner un galant Français, après une aventure aussi romanesque, ayant un droit puissant à la reconnaissance de très jolies femmes, il était peut-être encore plus flatteur pour nous de voir combien l’intention de ce bienfaiteur était de nous mettre à notre aise. Pas un mot qui pût faire tomber la conversation sur l’affaire du bourbier. S’il nous arrivait d’en laisser échapper quelque chose, il nous priait, en souriant, de ne pas nous rappeler un moment désagréable. — L’art du bonheur, disait-il, consiste à chasser au plus tôt de la mémoire ce qui a fait de la peine et à conserver précieusement le souvenir de ce qui a fait plaisir.

Cet homme, qui paraissait au premier abord froid et sérieux, déploya bientôt, sans la moindre prétention, une éloquence facile, intéressante. Philosophe, il n’avait que des principes modérés, consolants : ses yeux, qui n’étaient d’abord que majestueux, devenaient tendres dès qu’il parlait : un sourire charmant inspirait de la confiance ; en un mot, plus on le contemplait, plus on était frappé de la symétrie parfaite de ses traits et de la dignité de sa physionomie. Âgé d’environ quarante ans, il avait la fraîcheur et la vivacité du plus jeune homme. Sa voix, quoique mâle, était douce ; sa taille, aussi souple que noble, était dégagée de cette contrainte que nous reprochons au plus grand nombre