Page:Nerciat - Félicia.djvu/219

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ancienne connaissance, Mme  Dorville ; mais je ne suffisais pas, j’avais pour lieutenant un grand coquin de laquais. L’autre jour, venant chez elle, sans penser à rien, je le vis de l’antichambre dans une glace qui répétait leur image : le drôle rendait, portes ouvertes, un service impromptu sur le pied du lit à son affamée maîtresse ; j’eus la constance d’attendre jusqu’à la fin, ils firent toilette commune, et M. Hector ne referma point le ferme outil de sa bonne fortune sans que la reconnaissante dame y eût appuyé le baiser le plus passionné. Mme  Dorville peut prendre un grand laquais de plus et se passer de moi. Piqué de cette découverte, je me rabattis sur milady Kinston. Mais la bizarrerie des goûts de cette belle me força bientôt à la retraite. Ce qu’il est de plus naturel de faire aux femmes est précisément ce dont elle se soucie le moins ; il lui faut des extravagances ; tantôt elle veut qu’on la traite comme un mignon, tantôt qu’on lui fasse… ce que tu me refusais si cruellement la première nuit de nos folies… quelquefois sa bouche est jalouse de l’offrande que… — Fi, la vilaine », interrompis-je, dégoûtée de cette image. — Vous avez raison, répliqua le chevalier, cela vous révolte ; cependant, apprenez, ma chère Félicia, que la passion convertit souvent en plaisirs sublimes des goûts monstrueux auxquels on ne peut d’abord songer sans horreur. J’ai fait avec des femmes très ordinaires, mais pour qui j’avais des instants de délire, des folies dont j’étais étonné moi-même en m’y livrant avec délices. Je n’aurai ni la mauvaise foi de nier que ces irrégularités m’ont ravi, ni l’entêtement de soutenir qu’elles soient par elles-mêmes de véritables moyens de jouir. Tout cela gît dans l’imagination. C’est elle qui nous entraîne, qui vient aisément à bout de nous faire faire les choses qui répugnent le plus à la raison et même à la nature ; le caprice bouleverse tout ; mais ce désordre tourne au profit du plaisir…

Il avait raison ; je l’ai souvent éprouvé depuis. D’Aiglemont ajouta que, s’il avait eu plus de goût pour Soligny, ses prodigieux caprices ne l’auraient point rebuté et qu’il