Page:Nerciat - Félicia.djvu/26

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qui enivre d’amour les hommes les plus froids et captive les plus volages. On connaît mes cheveux, uniques pour la longueur, la couleur et la quantité ; mon teint, ma fraîcheur ne se décrivent pas. On admire mes dents, qui sont du plus bel émail, merveilleusement rangées ; mais on redoute leurs morsures incurables. Les connaisseurs les plus difficiles prétendent que c’est tout au plus si la robuste Jeanne, de belliqueuse et chaste mémoire, avait la gorge aussi ferme que moi, et si la tendre Sorel l’avait aussi blanche ; tout le reste à proportion tout au moins. Cependant je ne pense pas à m’enorgueillir de ces rares avantages, simples effets d’un hasard heureux. Je serai peut-être fondée à tirer plus de vanité de beaucoup d’autres perfections que je ne dois qu’à moi-même. Par exemple, je peins très bien, je joue de plusieurs instruments, je chante à ravir, je danse comme une grâce, je monte à cheval à étonner et je manque rarement une perdrix au vol. Mais est-ce encore à ces talents que je dois mon bonheur ?… Il en est un dans lequel la nature perfectionnée par l’art… Chut ! j’allais presque dire une sottise.




CHAPITRE III


Préliminaires indispensables.


Vénus naquit de l’écume des flots : moi, qui ressemble beaucoup à cette déesse par les charmes et les inclinations, je suis aussi née en plein océan, mais mes premiers instants ne furent point un triomphe. Ma mère accoucha de moi sur un monceau de morts et de mourants, parmi les horreurs d’un combat naval. Nous devînmes la proie d’un vainqueur qui, dès que nous eûmes pris terre en France, m’arracha du sein maternel, pour me livrer à l’infortune dans l’une de ces maisons cruellement charitables où l’on reçoit les fruits