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Page:Nerval - Contes et Facéties, 1852.djvu/25

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achète une paire de grègues ; il débat longtemps son prix et finit par la payer six écus. Vient ensuite quelque honnête chrétien, de ceux que les uns appellent un gonze, les autres un bon chaland ; s’il arrive qu’il prenne une paire de grègues exactement pareille à l’autre, et que, confiant au chaussetier, qui jure de sa probité par la Vierge et les saints, il la paye huit écus, je ne le plaindrai pas, car c’est un sot. Mais pendant que le marchand, comptant les deux sommes qu’il a reçues, prend dans sa main et fait sonner avec satisfaction les deux écus qui sont la différence de la seconde à la première, passe devant sa boutique un pauvre homme qu’on mène aux galères pour avoir tiré d’une poche quelque sale mouchoir troué : ― Voici un grand scélérat, s’écrie le marchand ; si la justice était juste, le gredin serait roué vif, et j’irais le voir, poursuit-il, tenant toujours dans sa main les deux écus… Eustache, que penses-tu qu’il arriverait si, selon le vœu du marchand, la justice était juste ?

Eustache Bouteroue ne riait plus ; le paradoxe était trop inouï pour qu’il songeât à y répondre, et la bouche d’où il sortait le rendait presque inquiétant. Maître Chevassut,