Page:Nerval - La Bohème galante, 1855.djvu/16

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tée d’un fumeur d’opium, l’essor d’une âme qui monte au ciel avec des ailes de chauve-souris, un mélange ineffable de poèmes et de grimoires, de fantasmagories et de ravissements. Pour qui sait lire, il était évident que l’esprit qui concevait de tels rêves n’appartenait plus à ce monde, qu’il avait franchi depuis longtemps la porte d’ivoire ; et que, pareil à ce moine espagnol qui sortait la nuit de son sépulcre pour aller achever dans sa cellule une exégèse commencée, lui, s’échappait de l’empire silencieux des songes pour venir les raconter à la terre. Aussi l’admiration qu’éprouvèrent ses amis à la lecture de ce chef-d’œuvre en démence fut-elle mêlée de pressentiment et d’effroi.

Personne cependant ne s’attendait à la catastrophe de sa mort. Son ivresse morale était si douce, si calme, si résignée ! On comptait pour lui sur l’ange qui guide les pas des enfants, et qui promène par la main les somnambules au bord des toits et des précipices. La maladie a trompé la surveillance de l’invisible gardien ; elle a profité d’un moment où il détournait la tête pour l’enlever brusquement. Paix à cette âme en peine de l’idéal ! puisse-t-elle avoir passé sans transition des vains songes de beauté qu’elle poursuivait ici-bas à la contemplation de l’éternelle Beauté ! puisse cet esprit errant qui ne connut jamais le repos s’être fixé dans la Lumière qui ne s’éteint pas.

Il est mort, on peut le dire, de la nostalgie du monde invisible : ouvrez^vous, portes éternelles ! et laissez entrer celui qui a passé son temps terrestre à languir et à se consumer d’attente sur votre seuil.

Que sa triste fin enseigne la sérénité et la force aux rêveurs, aux chercheurs, aux mélancoliques, à tous ceux que la vie dégoûte et qui aspirent aux choses éthérées ! La loi de la pesanteur qui fixe au sol les pieds humains doit gouverner le monde ral