Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des rochers ; mais, en y réfléchissant, je m’en gardai comme d’une profanation. Le jour en grandissant chassa de ma pensée ce vain souvenir et n’y laissa plus que les traits rosés de Sylvie.

— Allons la réveiller, me dis-je.

Et je repris le chemin de Loisy.

Voici le village au bout de la sente qui côtoie la forêt : vingt chaumières dont la vigne et les roses grimpantes festonnent les murs. Des fileuses matinales, coiffées de mouchoirs rouges, travaillent réunies devant une ferme. Sylvie n’est point avec elles. C’est presque une demoiselle depuis qu’elle exécute de fines dentelles, tandis que ses parents sont restés de bons villageois. — Je suis monté à sa chambre sans étonner personne ; déjà levée depuis longtemps, elle agitait les fuseaux de sa dentelle, qui claquaient avec un doux bruit sur le carreau vert que soutenaient ses genoux.

— Vous voilà, paresseux, dit-elle avec son sourire divin ; je suis sûre que vous sortez seulement de votre lit !

Je lui racontai ma nuit passée sans sommeil, mes courses égarées à travers les bois et les roches. Elle voulut bien me plaindre un instant.

— Si vous n’êtes pas fatigué, je vais vous faire courir encore. Nous irons voir ma grand’tante à Othys. 

J’avais à peine répondu qu’elle se leva joyeusement, arrangea ses cheveux devant un miroir et se coiffa d’un chapeau de paille rustique. L’innocence et la joie éclataient dans ses yeux. Nous partîmes en suivant les bords de la Thève, à travers les prés semés de marguerites et de boutons d’or, puis le long des bois de Saint-Laurent, franchissant parfois les ruisseaux et les halliers pour abréger la route. Les merles sifflaient dans les arbres, et les mésanges s’échappaient joyeusement des buissons frôlés par notre marche.

Parfois nous rencontrions sous nos pas les pervenches si chères à Rousseau, ouvrant leurs corolles bleues parmi ces longs rameaux de feuilles accouplées, lianes modestes qui ar-