Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/144

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Et moi aussi ! » — Et le troisième répondit « Je croyais être en paradis ! »

N’est-ce pas là une ballade d’Uhland, moins les beaux vers ? Mais il ne faut pas croire que l’exécution manque toujours à ces naïves inspirations populaires.

À part les rimes incorrectes, la chanson que nous avons citée dans les Faux-Saulniers : Le roi Loys est sur son pont, a été composée sur un des plus beaux airs qui existent, est déjà de la vraie poésie romantique et chevaleresque ; c’est comme un chant d’église croisé par un chant de guerre ; on n’a pas conservé la seconde partie de la ballade, dont pourtant nous connaissons vaguement le sujet. Le beau Lautrec, l’amant de cette noble fille, revient de la Palestine au moment où on la portait en terre. Il rencontre l’escorte sur le chemin de Saint-Denis. Sa colère met en fuite prêtres et archers, et le cercueil reste en son pouvoir. « Donnez-moi, dit-il à sa suite, donnez-moi mon couteau d’or fin, que je découse ce drap de lin ! » Aussitôt délivrée de son linceul, la belle revient à la vie. Son amant l’enlève et l’emmène dans son château au fond des forêts. Vous croyez qu’ils vécurent heureux et que tout se termina là ; mais, une fois plongé dans les douceurs de la vie conjugale, le beau Lautrec n’est plus qu’un mari vulgaire, il passe tout son temps à pêcher au bord de son lac, si bien qu’un jour sa fière épouse vient doucement derrière lui et le pousse résolument dans l’eau noire, en lui criant :

Va-t’en, vilain pêche-poissons, — Quand ils seront bons — Nous en mangerons.

Propos mystérieux, digne d’Arcabonne ou de Mélusine. — En expirant, le pauvre châtelain a la force de détacher ses clefs de sa ceinture et de les jeter à la fille du roi, en lui disant qu’elle est désormais maîtresse et souveraine, et qu’il se trouve heureux de mourir par sa volonté !… Il y a dans cette conclusion bizarre quelque chose qui frappe involontairement l’esprit, et qui laisse douter si le poëte a voulu finir par un trait de