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IV

CE QU’IL ARRIVA DE JACQUES TOFFEL
ET DE SES DEUX FEMMES

Il faudrait une plume très-familiarisée avec les peintures psychologiques pour décrire les symptômes des diverses passions qui se dessinaient d’une manière énergique sur le visage de notre héroïne. Le mépris, la fureur, la vengeance en étaient encore les plus faibles ; il sortait de ses yeux des étincelles si vives, que, pour servir d’une phrase à l’usage des Yankees, la chambre commençait à en être embrasée ; ses poings y fermèrent convulsivement, ses dents grincèrent, et, semblable au chat qui voit son territoire l’ennemi mortel de sa race, elle s’apprêta à fondre sur le sien, ce qui aurait pu devenir d’autant fatal pour les jolis traits de Marie Lindthal, que depuis un mois entier mistress Toffel n’avait pas rogné ses ongles.

Toffel, qui avait suivi Jemmy, vit avec un juste effroi ces terribles préparatifs, et se jeta de toute sa longueur entre les deux puissances belligérantes. Mais il n’était pas sûr encore que sa médiation fût très-efficace, lorsque tout à coup la porte s’ouvrit pour donner entrée au jeune Toffel, suivi de toute une bande d’héritiers d’un autre lit. Cinq années s’étaient écoulées depuis que Jemmy n’avait tenu son jeune fils dans ses bras ; oubliant son ennemie, elle sauta sur lui pour l’embrasser. Le jeune garçon s’effraya, cria très-haut, et courut à sa belle-mère. La pauvre Jemmy resta immobile à sa place ; la fureur et le désir de la vengeance l’avaient abandonnée ; une douleur indicible pénétra son cœur ; elle se dirigea en tremblant vers la porte, saisit le loquet et fut sur le point de tomber à terre. La pauvre femme souffrait horriblement en cet instant ; elle était devenue une étrangère pour son fils, une étrangère dans le