Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/173

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au raisin et aux châtaignes sauvages, et acheva ainsi sa course de quatre cents milles jusqu’aux sources du grand Miami, où, deux mois après sa fuite, elle se présenta avec aussi peu de trouble et de crainte que si elle rentrait d’une visite du matin.

Jamais le quartier général des Squaws n’avait retenti de si grands cris d’allégresse que lorsque Jemmy entra dans la cabane de la mère de Tomahawk. Toute la population des Wigwams était en mouvement ; Tomahawk ne se possédait plus de joie. Il avait été son admirateur fidèle pendant cinq années entières, et, ce qui n’est pas peu de chose de la part d’un sauvage, durant tout ce temps, il n’avait pas osé prendre la moindre liberté avec elle. Elle ne s’était pas acquis une légère influence sur ce petit peuple ; elle était l’institutrice des femmes, le tailleur et la cuisinière des hommes, le factotum de tous, et, si les derniers (les hommes) ne ressemblaient plus à des orangs-outangs, c’était son ouvrage à elle. Tomahawk sautait et dansait de bonheur.

— Hommes blancs, pas bons ! disait-il ; hommes rouges, bons ! s’écriait-il.

Et sa mère et tous les hommes s’unissaient à ces transports de joie.

Cependant, malgré la résolution ferme que Jemmy avait prise, sa prudence ne lui permettait pas de donner trop beau jeu au sauvage amoureux : non, elle réfléchit longtemps avant de lui permettre seulement l’espoir le plus éloigné. Depuis vingt jours déjà, elle le tenait renfermé auprès de la mère de Tomahawk, et, pendant ce temps, il n’avait pu la voir que deux fois. Enfin, le matin du vingt et unième jour, il fut mandé auprès de la souveraine de son cœur. Il s’y rendit peut-être plus bizarrement accoutré encore que lors de sa première demande, et, en balbutiant, il lui exprima de nouveau ses vœux. Jemmy l’écouta avec le sérieux d’un juge d’appel ; quand il eut terminé, elle lui montra silencieusement la table sur laquelle était étalé un habillement américain complet. Tomahawk retourna à sa cabane en poussant des cris de