Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/234

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bien plus loin. C’est à ce propos que certain plaideur ayant demandé si M. le lieutenant civil n’avait pas quelques amis qu’on pût solliciter et employer auprès de lui, on lui répondit qu’en effet il y avait des amis dont le Rousseau faisait grand état ; que c’était, entre autres, Monseigneur le Doublon, Messire le Ducat, et même Monsieur l’Écu ; qu’il fallait en faire agir plusieurs ensemble, et que l’on pouvait s’assurer d’être chaudement servi.


II

D’UNE IDÉE FIXE

Il est des gens qui ont plus de sympathie pour telle ou telle grande qualité, telle ou telle vertu singulière. L’un fait plus d’estime de la magnanimité et du courage guerrier, et ne se plaît qu’au récit des beaux faits d’armes ; une autre place au-dessus de tout le génie et les inventions des arts, des lettres ou de la science ; d’autres sont plus touchés de la générosité et des actions vertueuses par où l’on secourt ses semblables et l’on se dévoue pour leur salut, chacun suivant sa pente naturelle. Mais le sentiment particulier de Godinot-Chevassut était le même que celui du savant Charles neuvième, à savoir que l’on ne peut établir aucune qualité au-dessus de l’esprit et de l’adresse, et que les gens qui en sont pourvus sont les seuls dignes en ce monde d’être admirés et honorés ; et nulle part il ne trouvait ces qualités plus brillantes et mieux développées que chez la grande nation des tire-laine, matois, coupeurs de bourse et bohèmes, dont la vie généreuse et les tours singuliers se déroulaient tous les jours devant lui avec une variété inépuisable.

Son héros favori était maître François Villon, Parisien, célèbre dans l’art poétique autant que dans l’art de la pince et du croc ; aussi l’Iliade avec l’Énéide, et le roman non moins admirable de Huon de Bordeaux, il les eût donnés pour le poëme des Repues franches, et même encore pour la Légende