riche pour enlever aux démolisseurs et racheter en deux lots les boiseries du salon, peintes par nos amis. J’ai les deux dessus de porte de Nanteuil ; le Watteau de Vattier, signé ; les deux panneaux longs de Corot, représentant deux paysages de Provence ; le Moine rouge, de Châtillon, lisant la Bible sur la hanche cambrée d’une femme nue[1], qui dort ; les Bacchantes de Chassériau, qui tiennent des tigres en laisse comme des chiens ; les deux trumeaux de Rogier, où la Cydalise, en costume régence, — en robe de taffetas feuille morte, triste présage ! — sourit, de ses yeux chinois, en respirant une rose, en face du portrait en pied de Théophile, vêtu à l’espagnole. L’affreux propriétaire, qui demeurait au rez-de-chaussée, mais sur la tête duquel nous dansions trop souvent, après deux ans de souffrances, qui l’avaient conduit à nous donner congé, a fait couvrir depuis toutes ces peintures d’une couche à la détrempe, parce qu’il prétendait que les nudités l’empêchaient de louer à des bourgeois. — Je bénis le sentiment d’économie qui l’a porté à ne pas employer la peinture à l’huile.
De sorte que tout cela est à peu près sauvé. Je n’ai pas retrouvé le Siège de Lérida, de Lorentz, où l’armée française monte à l’assaut, précédée par des violons ; ni les deux petits Paysages de Rousseau, qu’on aura sans doute coupés d’avance ; mais j’ai, de Lorentz, une maréchale poudrée, en uniforme Louis XV. — Quant à mon lit renaissance, à ma console Médicis, à mes buffets[2], à mon Ribeira[3], à mes tapisseries des Quatre Éléments, il y a longtemps que tout cela s’était dispersé.
— Où avez-vous perdu tant de belles choses ? me dit un jour Balzac.
— Dans les malheurs ! lui répondis-je en citant un de ses mots favoris.