Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/328

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avaient pu du moins élever une fleur ou apprivoiser une araignée ; le donjon de Fouquet, les plombs de Casanova, nous revinrent longuement en mémoire ; puis, comme nous étions privés de toute nourriture, il fallut nous arrêter au supplice d’Ugolin… Vers quatre heures, nous entendîmes un bruit actif de verres et de fourchettes : c’étaient les municipaux qui dînaient.

Je regretterais de prolonger ce journal d’impressions fort vulgaires partagées par tant d’ivrognes, de tapageurs ou de cochers en contravention ; après dix-huit heures de violon, nous sommes conduits devant un commissaire, qui nous envoie à la Préfecture, toujours sous le poids des mêmes préventions. Dès lors, notre position prenait du moins de l’intérêt. Nous pouvions écrire aux journaux, faire appel à l’opinion, nous plaindre amèrement d’être traités en criminels ; mais nous préférâmes prendre bien les choses et profiter gaiement de cette occasion d’étudier des détails nouveaux pour nous. Malheureusement, nous eûmes la faiblesse de nous faire mettre à la pistole, au lieu de partager la salle commune, ce qui ôte beaucoup à la valeur de nos observations.

La pistole se compose de petites chambres fort propres à un ou deux lits, où le concierge fournit tout ce qu’on demande, comme à la prison de la garde nationale ; le plancher est en dalles, les murs sont couverts de dessins et d’inscriptions ; on boit, on lit et on fume ; la situation est donc fort supportable.

Vers midi, le concierge nous demanda si nous voulions passer avec la société pendant qu’on faisait le service. Cette proposition n’était que dans le but de nous distraire, car nous pouvions simplement attendre dans une autre chambre. La société, c’étaient les voleurs.

Nous entrâmes dans une vaste salle garnie de bancs et de tables ; cela ressemblait simplement à un cabaret de bas étage. On nous fit voir près du poêle un homme en redingote verte qu’on nous dit être le célèbre Fossard, arrêté pour le vol des médailles de la Bibliothèque.