Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/332

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— Non, ce n’est pas moi ; j’ai fait la chambre hier.

— Eh bien, qui donc ?

— C’est le nouveau ; c’est un qui est là, qui dort.

Il devenait clair que le nouveau, c’était moi-même ; je feignis de continuer à dormir ; mais déjà ce n’était plus possible ; tout le monde se levait aux coups d’une cloche, et je fus forcé d’en faire autant.

Je songeais tristement à la corvée et à l’ennui de travailler pour les représentants du peuple libre ; les inconvénients de l’égalité m’apparaissaient cette fois bien positivement ; mais je ne tardai pas à apprendre que, là aussi, l’argent était une aristocratie. Mon voisin de droite vint me dire à l’oreille :

— Monsieur, si vous voulez, je ferai votre corvée ; cela coûte cinq sous.

On comprend avec quel plaisir je me rachetai de la charge que m’imposait l’égalité républicaine, et je me disais, en y songeant, qu’il eût été peut-être moins pénible, en fait de corvée, de faire la chambre d’un roi que celle d’un peuple. Les gens qui ont fait la Jacquerie n’avaient peut-être pas prévu ma position.

Une demi-heure après, un second coup de cloche nous avertit que toute la prison était rendue à sa liberté intérieure ; c’était en même temps le signal de la distribution des vivres. Chacun prit une sébile de terre et une cruche, ce qui nous faisait un peu ressembler à l’armée de Gédéon. Dans une galerie inférieure, la distribution était déjà commencée ; elle se faisait à tous les prisonniers sans exception, et se composait d’un pain de munition et d’une cruche d’eau ; après quoi, on remplissait les sébiles d’une sorte de bouillon sur lequel flottait un très-léger morceau de bœuf ; au fond de ce bouillon limpide on trouvait encore de gros pois ou des haricots que les prisonniers appelaient des vestiges, en raison sans doute de leur rareté.

Du reste, la cantine était ouverte au fond de la cour et desservait les trois divisions de Sainte-Pélagie. Seulement, les pri-