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XII

LE MARCHÉ DES INNOCENTS

En passant à gauche du marché aux poissons, où l’animation ne commence que de cinq à six heures, moment de la vente à la criée, nous avons remarqué une foule d’hommes en blouse, en chapeau rond et en manteau blanc rayé de noir, couchés sur des sacs de haricots… Quelques-uns se chauffaient autour de feux comme ceux que font les soldats qui campent, d’autres s’allumaient des foyers intérieurs dans les cabarets voisins. D’autres, encore près des sacs, se livraient à des adjudications de haricots… Là, on parlait prime, différence, couverture, reports, hausse et baisse ; enfin, comme à la bourse.

— Ces gens en blouse sont plus riches que nous, dit mon compagnon. Ce sont de faux paysans. Sous leur roulière ou leur bourgeron, ils sont parfaitement vêtus et laisseront demain leur blouse chez le marchand de vin pour retourner chez eux en tilbury. Le spéculateur adroit revêt la blouse comme l’avocat revêt la robe. Ceux de ces gens-là qui dorment sont les moutons ou les simples voituriers.

— 46-66 l’haricot de Soissons ! dit près de nous une voix grave.

— 48, fin courant, ajouta un autre.

— Les suisses blancs sont hors de prix.

— Les nains 28.

— La vesce à 13-34… Les flageolets sont mous, etc.

Nous laissons ces braves gens à leurs combinaisons. Que d’argent il se gagne et se perd ainsi !… Et l’on a supprimé les jeux !