Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/394

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mance qu’elle avait aimée, et dont j’ai toujours retenu ce passage :

 
Mamma mia, medicate
Questa piaga, per pietà !
Melicerto fu l’arciero
Perchè pace in cor non ho[1] !…


Malheureusement, la guitare est aujourd’hui vaincue par le piano, ainsi que la harpe ; ce sont là des galanteries et des grâces d’un autre temps. Il faut aller à Saint-Germain pour retrouver, dans le petit monde paisible encore, les charmes effacés de la société d’autrefois.

Je suis sorti par un beau clair de lune, m’imaginant vivre en 1827, époque où j’ai quelque temps habité Saint-Germain. Parmi les jeunes filles présentes à cette petite fête, j’avais reconnu des yeux accentués, des traits réguliers, et, pour ainsi dire, classiques, des intonations particulières au pays, qui me faisaient rêver à des cousines, à des amies de cette époque, comme si dans un autre monde j’avais retrouvé mes premières amours. Je parcourais au clair de lune ces rues et ces promenades endormies. J’admirais les profils majestueux du château, j’allais respirer l’odeur des arbres presque effeuillés la lisière de la forêt, je goûtais mieux cette heure l’architecture de l’église, où repose l’épouse de Jacques II, et qui semble un temple romain[2].

Vers minuit, j’allai frapper à la porte d’un hôtel où je couchais souvent, il y a quelques années. Impossible d’éveiller personne. Des bœufs défilaient silencieusement, et leurs conducteurs ne purent me renseigner sur les moyens de passer la nuit. En revenant sur la place du Marché, je demandai au

  1. « Ô ma mère ! guérissez-moi cette blessure, par pitié ! Mélicerte fut l’archer par lequel j’ai perdu la paix de mon cœur. »
  2. L’intérieur est aujourd’hui restauré dans le style byzantin, et l’on commence à y découvrir des fresques remarquables commencées depuis plusieurs années.