— Pardon, reine, m’écriai-je, je me croyais le Tasse aux pieds d’Éléonore, ou le tendre Ovide aux pieds de Julie !…
Elle ne put rien me répondre, et nous restâmes tous deux muets dans une demi-obscurité. Je n’osai lui baiser la main, car mon cœur se serait brisé. — Ô douleurs et regrets de mes jeunes amours perdues ! que vos souvenirs sont cruels ! « Fièvres éteintes de l’âme humaine, pourquoi revenez-vous encore échauffer un cœur qui ne bat plus ? » Héloïse est mariée aujourd’hui ; Fanchette, Sylvie et Adrienne sont à jamais perdues pour moi : — le monde est désert. Peuplé de fantômes aux voix plaintives, il murmure des chants d’amour sur les débris de mon néant ! Revenez pourtant, douces images ; j’ai tant aimé ! j’ai tant souffert ! « Un oiseau qui vole dans l’air a dit son secret au bocage, qui l’a redit au vent qui passe, — et les eaux plaintives ont répété le mot suprême : — Amour ! amour ! »
VII
VOYAGE AU NORD
Que le vent enlève ces pages écrites dans des instants de fièvre ou de mélancolie, peu importe : il en a déjà dispersé quelques-unes, et je n’ai pas le courage de les récrire. En fait de mémoires, on ne sait jamais si le public s’en soucie, et cependant je suis du nombre des écrivains dont la vie tient intimement aux ouvrages qui les ont fait connaître. N’est-on pas aussi, sans le vouloir, le sujet de biographies directes ou déguisées ? Est-il plus modeste de se peindre dans un roman sous le nom de Lélio, d’Octave ou d’Arthur, ou de trahir ses plus intimes émotions dans un volume de poésies ? Qu’on nous pardonne ces élans de personnalité, nous qui vivons sous le regard de tous, et qui, glorieux ou perdus, ne pouvons plus atteindre au bénéfice de l’obscurité !
Si je pouvais faire un peu de bien en passant, j’essayerais d’appeler quelque attention sur ces pauvres villes délaissées