Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/406

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locale, tout se rapporte au centre national, et Paris est le foyer de toutes ces gloires. Me direz-vous pourquoi j’aime tout le monde dans ce pays, où je retrouve des intonations connues autrefois, où les vieilles ont les traits de celles qui m’ont bercé, où les jeunes gens et les jeunes filles me rappellent les compagnons de ma première jeunesse ? Un vieillard passe : il m’a semblé voir mon grand-père ; il parle, c’est presque sa voix ; — cette jeune personne a les traits de ma tante, morte à vingt-cinq ans ; une plus jeune me rappelle une petite paysanne qui m’a aimé et qui m’appelait son petit mari, — qui dansait et chantait toujours, et qui, le dimanche au printemps, se faisait des couronnes de marguerites. Qu’est-elle devenue, la pauvre Célénie, avec qui je courais dans la forêt de Chantilly, et qui avait si peur des gardes-chasse et des loups !


VIII

CHANTILLY

Voici les deux tours de Saint-Leu, le village sur la hauteur, séparé par le chemin de fer de la partie qui borde l’Oise. On monte vers Chantilly en côtoyant de hautes collines de grès d’un aspect solennel, puis c’est un bout de la forêt ; la Nonette brille dans les prés bordant les dernières maisons de la ville. La Nonette ! une des chères petites rivières où j’ai pêché des écrevisses ; de l’autre côté de la forêt coule sa sœur la Thève, où je me suis presque noyé pour n’avoir pas voulu paraître poltron devant la petite Célénie !

Célénie m’apparaît souvent dans mes rêves comme une nymphe des eaux, tentatrice naïve, follement enivrée de l’odeur des prés, couronnée d’ache et de nénufar, découvrant, dans son rire enfantin, entre ses joues à fossettes, les dents de perles de la nixe germanique. Et certes, l’ourlet de sa robe était très-souvent mouillé comme il convient à ses pareilles… Il fallait lui cueillir des fleurs aux bords marneux des étangs