Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/54

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romaines et celtiques. Il trouvait parfois, dans son champ ou aux environs, des images de dieux et d’empereurs que son admiration de savant me faisait vénérer, et dont ses livres m’apprenaient l’histoire. Un certain Mars en bronze doré, une Pallas ou Vénus armée, un Neptune et une Amphitrite sculptés au-dessus de la fontaine du hameau, et surtout la bonne grosse figure barbue d’un dieu Pan souriant à l’entrée d’une grotte, parmi les festons de l’aristoloche et du lierre, étaient les dieux domestiques et protecteurs de cette retraite. J’avoue qu’ils m’inspiraient alors plus de vénération que les pauvres images chrétiennes de l’église et les deux saints informes du portail, que certains savants prétendaient être l’Ésus et le Cernunnos des Gaulois. Embarrassé au milieu de ces divers symboles, je demandai un jour à mon oncle ce que c’était que Dieu.

— Dieu, c’est le soleil, me dit-il.

C’était la pensée intime d’un honnête homme qui avait vécu en chrétien toute sa vie, mais qui avait traversé la Révolution, et qui était d’une contrée où plusieurs avaient la même idée de la Divinité. Cela n’empêchait pas que les femmes et les enfants n’allassent à l’église, et je dus à une de mes tantes quelques instructions qui me firent comprendre les beautés et les grandeurs du christianisme. Après 1815, un Anglais qui se trouvait dans notre pays me fit apprendre le Sermon sur la Montagne et me donna un Nouveau Testament… Je ne cite ces détails que pour indiquer les causes d’une certaine irrésolution qui s’est souvent unie chez moi à l’esprit religieux le plus prononcé.

Je veux expliquer comment, éloigné longtemps de la vraie route, je m’y suis senti ramené par le souvenir chéri d’une personne morte, et comment le besoin de croire qu’elle existait toujours a fait rentrer dans mon esprit le sentiment précis des diverses vérités que je n’avais pas assez fermement recueillies en mon âme. Le désespoir et le suicide sont le résultat de certaines situations fatales pour qui n’a pas foi dans l’immortalité, dans ses peines et dans ses joies ; — je croirai