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ANGÉLIQUE

marges, avec des annotations de Marguerite de Valois.

— Non… ne parlons plus de cela.

— Comme argent, je suis pauvre, tu le sais ; mais j’offrirais bien mille francs.

— N’en parlons plus…

— Allons ! quinze cents livres.

— Je n’aime pas les questions d’argent entre amis.

La résistance ne faisait qu’accroître les désirs de l’ami du bibliophile. Après plusieurs offres, encore repoussées, il lui dit, arrivé au dernier paroxysme de la passion :

— Eh bien ! j’aurai le livre à ta vente.

— À ma vente ?… mais, je suis plus jeune que toi…

— Oui, mais tu as une mauvaise toux.

— Et toi… ta sciatique ?

— On vit quatre-vingts ans avec cela !…

Je m’arrête, monsieur. Cette discussion serait une scène de Molière ou une de ces analyses tristes de la folie humaine, qui n’ont été traitées gaiement que par Érasme… En résultat, le bibliophile mourut quelques mois après, et son ami eut le livre pour six cents francs.

— Et il m’a refusé de me le laisser pour quinze cents francs ! disait-il plus tard toutes les fois qu’il le faisait voir. Cependant, quand il n’était plus question de ce volume, qui avait projeté un seul nuage sur une amitié de cinquante ans, son œil se mouillait au souvenir de l’homme excellent qu’il avait aimé.

Cette anecdote est bonne à rappeler dans une époque où le goût des collections de livres, d’autographes et d’objets d’art, n’est plus généralement compris en France. Elle pourra, néanmoins, vous expliquer les difficultés que j’ai éprouvées à me procurer l’abbé Bucquoy.